C’est dans le village de Takahara situé sur le chemin de pèlerinage du Kumano Kodo, que Sarah et son mari Masa se sont rencontrés il y a quelques années. Ensemble, ils ont ouvert leur maison d’hôtes « HATAGO MaSaRa » dans ce village qu’ils n’ont plus quitté. A travers cet échange, Sarah, originaire de région parisienne, nous parle de son parcours et de son épopée japonaise, des difficultés rencontrées pendant cette période touristique compliquée, mais aussi de leurs différents projets.
Sarah, peux-tu te présenter ?
Je m’appelle Sarah, j’ai 32 ans et j’ai grandi dans un petit village des Yvelines, en région parisienne.
Après mes études, je suis devenue secrétaire médicale dans un service de chirurgie pour les Hôpitaux de Paris, un métier qui me plaisait beaucoup. J’aime être utile aux gens, c’est un sentiment très ancré dans ma personnalité.
Comment t’es venue la passion du Japon ?
A l’âge de 15 ans, je suis tombée amoureuse du Japon à travers les dramas japonais.
Dans ces dramas, il y avait toujours une morale et des repères familiaux que je n’ai pas eu la chance de connaître : j’ai perdu la seule grand-mère que j’ai connue à l’âge de 10 ans et avec le divorce de mes parents, j’étais aussi en manque de repères. Dans le premier drama que j’ai regardé, on voyait une famille où tout le monde vivait ensemble : parents, grand-parents et petits-enfants… C’est tout ce que je recherchais !
J’ai donc commencé à m’intéresser à la culture japonaise dans son ensemble. J’ai très vite eu l’envie de vivre au Japon. J’ai d’abord visité de nombreux sites touristiques lors de mon premier voyage en 2015 puis l’année d’après, je suis surtout restée dans la famille d’un ami pour justement m’imprégner de cette culture au quotidien….
Finalement, en 2018, j’ai pris un congé sabbatique pour partir au Japon en PVT (Visa Vacances Travail) !
Avais-tu appris à parler japonais avant de partir au Japon ?
J’avais intégré la Yuai association, une association franco-japonaise à Paris dès 2015, avant mon premier voyage. C’est une association qui n’a pas de locaux, elle propose des échanges culturels qui se font souvent dans les cafés, ainsi que des cours de langues et des évènements réguliers autour des deux cultures. J’ai pu échanger avec des personnalités différentes et venant de tous horizons.
Lors de mon PVT, j’ai d’ailleurs retrouvé de nombreux amis que j’avais connus par l’intermédiaire de cette association.
Comment s’est passée ton année en PVT ?
Je suis partie avec 40 kgs de bagages qui représentaient toute ma vie ! J’ai passé une année à voyager à travers le pays, en ne restant jamais au même endroit…
Au début de mon PVT, j’avais laissé mes valises chez un ami à Tokyo et je revenais chez lui en fonction des saisons quand je devais changer de vêtements !
Avec un petit budget comme le mien, c’était vraiment important d’avoir des contacts au Japon. Ils m’ont beaucoup aidé pendant tout mon périple.
Il y a eu quand même des moments difficiles, certains jours je ne parlais à personne. Mais l’objectif était de découvrir le plus d’endroits possibles ; j’étais surtout attirée par les villes et villages les moins connus. Je voulais voir le « vrai » Japon avec toujours en tête ce rêve d’y vivre un jour.
Par le biais de l’association, j’avais été mise en contact avec une Japonaise qui habitait Kamakura ; on s’était parlé deux fois au téléphone avant qu’elle me propose de m’héberger quelques jours et de me faire visiter la ville ! Et c’est grâce à l’une de ses amies que j’ai pu trouver mon premier emploi au Japon… j’étais employée sur les plages dans une Umi no ie (maisons de plage) où j’accueillais les clients tout un été. J’ai ensuite continué mon voyage…

Comment t’es-tu retrouvée dans ce petit village où tu vis aujourd’hui ?
A mon arrivée dans la préfecture de Wakayama, je suis restée bloquée dans une guesthouse à cause d’un typhon.
C’est là que j’ai fait la rencontre du patron de l’hôtel du village Takahara situé en haut des montagnes et réputé pour sa mer de nuages. Quand la brume monte dans la vallée, on se retrouve juste au dessus comme si on pouvait marcher sur les nuages… C’est le village où je vis actuellement !
Le patron de l’hôtel recherchait des woofers (échange de services contre le gîte et le couvert). Cela faisait six mois que je voyageais à travers le Japon sans m’arrêter, je ressentais un gros manque affectif et mon niveau de japonais n’évoluait plus…

Après un voyage déjà programmé à Kyoto, je suis donc revenue pour travailler un mois en tant que volontaire dans cet hôtel. Je travaillais six jours par semaine à m’occuper de la plonge, à aider au service du soir et au nettoyage des chambres !
J’étais hébergée dans une maison réservée aux volontaires ainsi qu’au manager. Et il se trouve que le manager de cet hôtel qui s’appelle Masa… est aujourd’hui mon mari et que cette maison où nous nous sommes rencontrés est devenue notre maison d’hôtes !
Qu’avez-vous décidé après votre rencontre ?
Avant de rencontrer Masa, je pensais devoir retourner définitivement en France car il était difficile pour moi de trouver un emploi, même des baitos (petits boulots) à cause de mon niveau de japonais à l’écrit. Après notre rencontre, tout est devenu possible : vivre, travailler… mais aussi fonder une famille au Japon !
Masa a décidé d’arrêter de travailler en tant que manager pour cet hôtel ; nous avions le projet d’ouvrir une maison d’hôtes dans la région mais sans savoir vraiment à quel endroit.
Chacun de notre côté, nous avions eu cette envie bien avant de nous rencontrer ! J’avais d’ailleurs eu l’idée à un moment d’ouvrir une maison traditionnelle japonaise dans les montagnes françaises…
J’ai quand même souhaité terminer mon voyage car j’étais à la moitié de mon PVT, et je m’étais aussi engagée à travailler sur les pistes de ski d’Hakuba Valley dans la région de Nagano pendant quelques mois –près de chez Géraldine et Simon qui tiennent le Kodama Lodge-. A la fin de mon PVT, j’ai dû rentrer en France et n’ayant pas de visa, je revenais tous les trois mois au Japon en tant que touriste.
Au printemps de l’année 2019, Masa a finalement eu l’opportunité d’acheter la maison que louait le patron de l’hôtel pour héberger les volontaires.
Que peux-tu nous dire sur cette maison ?
Cette maison est idéalement située sur le chemin de pèlerinage du Kumano Kodo, reconnu au patrimoine mondial de l’UNESCO, jumelé avec Saint-Jacques-de-Compostelle en Espagne.
Notre village Takahara est proche de la ville côtière de Tanabe, qui est la plus grande ville du Sud de la péninsule de Kii et aussi le point de départ du Kumano.
La maison nous a quand même donné beaucoup de travail car elle n’était pas du tout adaptée pour notre projet : elle était petite, mal entretenue et très ancienne avec une partie grange attenante qui a servi à agrandir la maison.
On a aujourd’hui une maison d’hôtes que nous avons appelée « HATAGO MaSaRa » (pour Masa + Sarah) avec deux grandes chambres pour nos hôtes, une de quatre personnes qui est située au rez-de-chaussée, et une autre de trois personnes à l’étage.
Juste après l’avoir achetée, nous avions participé à une compétition organisée par la région de Wakayama qui finançait les projets d’entreprises touristiques des nouveaux arrivants. En gagnant ce concours, nous avions bénéficié de plus de 25 000 euros, ce qui nous a beaucoup aidé pour effectuer les travaux.
Cette interview nous a aussi donné de la visibilité et aujourd’hui, nous faisons partie des « référents » de la région. On peut être amené à donner notre avis sur notre vie dans le village et à conseiller les nouveaux arrivants qui souhaiteraient s’installer et lancer leur entreprise touristique.
A quel moment a eu lieu l’ouverture de la maison d’hôtes ?
Je suis revenue de France début 2020 et nous avons ouvert la maison d’hôtes en mars 2020. Nous nous sommes mariés dans la foulée… Mais ouvrir en pleine pandémie a été une catastrophe !
Le pèlerinage du Kumano Kodo attire normalement de nombreux visiteurs étrangers surtout des Australiens, des Américains et des Européens. Notre cible de base est étrangère. C’est aussi pour cela que nous nous sommes installés dans la région. Tous nos futurs clients étrangers ont dû annuler leur voyage. On a eu quelques clients Japonais mais cela ne suffisait pas…
De quelle(s) façon(s) vous êtes-vous adaptés à cette situation ?
Nous avons décidé d’avancer un projet que nous avions prévu de faire dans quelques années : ouvrir un espace café dans la journée sur la terrasse de notre auberge, et proposer des gâteaux français et des galettes bretonnes !

Je tiens à dire que nous avons été beaucoup aidés financièrement par l’administration japonaise pendant toute cette période compliquée, notamment pour que l’on puisse acheter toutes les fournitures dont nous avions besoin dans le cadre de ce nouveau projet lié à cette crise.
Avec cet espace café, on a surtout ciblé les habitants de la région car nous étions les seuls à être ouverts à cause de la pandémie.
Notre auberge a fait l’objet de plusieurs articles dans le journal local ainsi que dans des magazines de tourisme, ce qui a nous a fait un peu connaître. Le fait que je sois Française et que je propose une cuisine familiale française, attire aussi l’attention ! Nos clients Japonais viennent souvent nous voir pour cette raison.
A l’automne 2021, après un an et demi de pandémie, les Japonais ont recommencé à voyager à travers le pays, et nous avons eu de nombreux touristes pour l’auberge ainsi que pour l’espace café en journée. On était un peu plus serein. Avec le nouveau variant, on ne sait pas trop comment la situation va évoluer mais on a hâte que les frontières rouvrent enfin !
Comment s’est passée votre intégration dans votre village ?
Masa n’est pas de cette région et de mon côté en tant qu’étrangère, j’avais quelques craintes.
Mais les gens sont très accueillants ! C’est un village qui a toujours accueilli des pèlerins et qui a eu l’habitude de voir des étrangers. Il n’est composé pratiquement que de personnes âgées. Malheureusement, tous les jeunes s’en vont. Autrefois, ils étaient 300 habitants et ne sont plus que 70 aujourd’hui, avec quelques enfants.
Ils étaient contents de nous voir ouvrir notre maison d’hôtes, ce qui a mis un peu d’animation dans le village.
Nos voisins sont aussi très généreux et nous donnent régulièrement -en grosse quantité !-des légumes qu’ils font pousser dans leur potager. Dans un autre village, un ami nous a même proposé de cueillir des myrtilles dans son champ, on s’est retrouvé avec plusieurs kilos de myrtilles pour faire des tartes et des confitures !
L’année dernière, afin de sauver le dernier moulin à eau du village que certains souhaitaient détruire, nous avons proposé de faire pousser du sarrazin que l’on pourra utiliser pour faire nos galettes ; le moulin à eau qui servait avant à moudre le riz, servira ainsi à moudre le sarrazin notamment lors des matsuri (festivals traditionnels)… Au final, grâce à un voisin qui nous a prêté quelques parcelles de son champ, un autre ses outils et un dernier qui nous a apporté son savoir-faire, on s’est retrouvé à cultiver du sarrazin !
Quels sont vos projets ?
Nous avons le projet personnel de fonder une famille mais au niveau professionnel, nous attendons d’avoir l’opportunité de vivre une vraie saison touristique pour se projeter.
Je sais que lorsque les frontières vont rouvrir, nous aurons sûrement beaucoup plus de réservations et l’organisation de travail sera différente.
Avant la fermeture des frontières, cette région ancestrale avec le parcours de randonnée du Kumano Kodo et ses sanctuaires emblématiques, était énormément visitée. J’invite d’ailleurs les futurs visiteurs francophones à se rendre sur la page internet du Bureau de tourisme de la Ville de Tanabe.
Par ailleurs, j’ai une passion pour les kimonos ! Je ne suis pas une spécialiste mais j’aimerais beaucoup proposer lors de réservations de chambres, une option afin que les personnes qui le souhaitent puissent essayer nos kimonos, se balader dans le village et se prendre en photo notamment dans le sanctuaire Takahara Kumano en face de chez nous qui est l’un des plus anciens sanctuaires du Kumano Kodo…

Pendant l’habillage, je pourrai en profiter pour leur expliquer l’histoire et les règles du port des kimonos même si je ne les connais pas toutes ! Ce projet demande du temps, de l’organisation et de l’espace pour les stocker. J’ai déjà plus d’une vingtaine de kimonos et yukatas dont certains appartenaient à des amies qui ne les portaient plus… Mais nous avons aussi un souci d’humidité propre aux maisons japonaises qui ne permet pas de les conserver correctement pour le moment.
Pour finir, quels sont tes endroits préférés au Japon ?
J’ai visité tellement de régions magnifiques !
Lors de mon premier voyage, j’ai adoré le parc de Minoh, situé au Nord d’Osaka et qui est connu pour sa chute d’eau.

J’ai aussi beaucoup aimé me promener dans les petites ruelles de la ville de Nara. Dans cette préfecture, le village d’Asuka m’a intrigué car c’est la première capitale historique du Japon !
J’ai apprécié également le trek de quatre heures que j’ai effectué sur le chemin de randonnée le long de la côte d’Uradome à Iwami dans la préfecture de Tottori. Elle offre un paysage magnifique où l’on peut découvrir de petites criques avec des plages de sable blanc paisibles et préservées.

Et un sanctuaire shinto à ne pas manquer : le Yutoku Inari dans la préfecture de Saga qui est magnifique et très coloré !
Je recommande enfin de visiter le petit village de poterie d’Okawachiyama proche d’Imari, sur l’île de Kyushu, qui a été longtemps refermé sur lui-même pour garder le secret de fabrication de ses poteries…
Merci Sarah pour cet entretien ! Bon courage pour tous vos projets et à bientôt à Takahara !

Vous pouvez retrouver la maison d’hôtes de Sarah et Masa sur Booking : https://www.booking.com/hotel/jp/lu-long-masara-hatago-masara.ja.html
Magnifique
Longue vie à vous !
J’aimeAimé par 1 personne