Manu, graphiste à Tokyo : « pourquoi je quitte le Japon »

Passionné par la culture japonaise et séduit par le Japon lors de ses différents séjours passés sur l’archipel, Manu a décidé il y a trois ans de s’installer et de travailler en tant que graphiste à Tokyo. Dans cet entretien, cet ancien présentateur de l’émission Nomikai sur Twitch se livre sur son parcours, sur son expérience professionnelle compliquée de salarié tokyoïte, ainsi que sur ses différents projets comme celui de quitter le Japon pour vivre à Taïwan…

Manu, peux-tu te présenter et nous parler de ton parcours ?

Je suis né il y a 31 ans en Moselle près de la frontière allemande. Je suis allé à l’école en Allemagne à partir du CM2. Mon père étant à moitié Allemand, il souhaitait absolument que j’apprenne la langue… J’ai continué jusqu’au lycée, puis j’ai mis du temps à trouver un domaine qui me plaisait : la communication.

A l’occasion d’un stage en licence, ma tutrice m’avait parlé de son fils qui était parti au Japon sur un coup de tête… De mon côté, j’étais fan de culture japonaise -grâce notamment au Club Dorothée !-, je suis donc parti à Tokyo pour un court séjour d’une semaine entre mon stage et la reprise des cours !

Heureusement que j’avais trouvé un vol direct à 400 € en plein mois de février… Je n’ai d’ailleurs jamais retrouvé un tarif aussi intéressant !

J’ai bien sûr adoré le pays ! Je suis reparti la même année vers Osaka et Kyoto pour une durée de trois semaines afin de découvrir cette région.

En 2017, j’ai eu la chance de pouvoir conclure mon master avec un stage à Tokyo dans la même entreprise où j’avais effectué mon stage en licence, grâce notamment à ma tutrice qui connaissait très bien le PDG Français de la branche japonaise.

Comment s’est passé ce stage à Tokyo ?

Mon stage a duré quatre mois. C’est une expérience un peu mitigée qui m’a permis de m’imprégner de la vie quotidienne d’un salarié tokyoïte, avec ses avantages et ses inconvénients.

J’étais dans une entreprise allemande qui s’était implantée au Japon, et j’étais chargé de moderniser ses moyens de communication. Malheureusement, ils n’avaient pas vraiment le budget pour effectuer les changements nécessaires comme des services en ligne ou une inscription à une newsletter…

Par ailleurs, malgré la barrière de la langue j’avais eu un bon contact avec l’équipe de Japonais avec qui je travaillais mais étant le seul étranger, j’avais parfois l’impression d’être une attraction !

Mon niveau de japonais était un frein pour trouver un CDI dans ce domaine au Japon, je suis donc retourné en France à la fin de mon stage…

Qu’as-tu fait par la suite ?

J’étais déprimé de ne pas pouvoir rester au Japon. Mais je devais écrire mon mémoire de master et je m’étais donné comme objectif de revenir très vite sur l’archipel, cette fois-ci dans le cadre d’un PVT (Visa Vacances Travail) qui devait durer un an.

Après avoir terminé mon mémoire, j’ai travaillé quelques temps dans une usine pour mettre de l’argent de côté, j’ai ensuite débuté mon PVT au Japon fin 2018. J’avais envie de travailler la langue mais je voulais aussi en profiter pour visiter le pays.

Est-ce facile d’obtenir un PVT ?

De mon côté, je l’ai obtenu facilement…, il suffit d’avoir un dossier sérieux et éviter des erreurs éliminatoires notamment lors de l’écriture de la lettre de motivation.

Même si avec un PVT, on a le droit de travailler, c’est avant tout un visa touristique. Dans cette lettre de motivation, il faut indiquer son souhait de visiter le pays en priorité et ne pas évoquer -même si c’est le cas- son envie de rester à long terme au Japon !

A quel endroit as-tu débuté ton PVT au Japon ?

Je me suis d’abord rendu deux mois à Hokkaido pour la simple et bonne raison que j’adore le manga « Golden Kamui » qui se déroule dans cette région ! Il met en valeur les Aïnous, les premiers habitants de l’île de Hokkaido -autrefois appelé Ezo-, lors de la guerre russo-japonaise au début du XXe siècle. La lecture de ce manga a été pour moi une nouvelle découverte du Japon car je n’avais jamais entendu parlé de ce peuple et de ses traditions auparavant…. Il fallait que j’aille voir de mes propres yeux !

Lac Mashu-Ko, parc national d’Akan – Hokkaido

Hokkaido est l’île la plus au Nord de l’archipel. J’y suis allé l’hiver entre novembre et janvier mais j’ai quand même évité le grand froid que l’on peut trouver en février lors du festival de la neige Yuki Matsuri de la ville de Sapporo, avec des températures qui peuvent descendre jusqu’à -20° !

Jigokudani onsen – Hokkaido

Comme on peut souvent le constater dans les pays du Nord, les gens sont très chaleureux, la nourriture copieuse et les paysages magnifiques ! On a l’impression d’être dans un autre Japon, c’est un peu un mélange entre la Hollande et le Canada avec des champs de fleurs et des maisons en bois colorées.

Champ de tournesols à Furano – Hokkaido

Comment s’est passé le reste de ton séjour ?

Je me suis ensuite rendu à Tokyo pour suivre des cours de japonais pendant trois mois. J’ai aussi trouvé des petits boulots en tant que professeur de langues où j’enseignais les trois langues que je connaissais : l’anglais, l’allemand et le français.

J’ai finalement trouvé un emploi de graphiste en répondant à une annonce postée sur un groupe Facebook de designers au Japon ; j’ai eu beaucoup de chance car c’était la première annonce à laquelle je répondais !

Peux-tu nous en dire plus sur ce poste de graphiste ?

Je travaillais dans une entreprise immobilière commerciale qui gère des locaux commerciaux et des bureaux sur Tokyo ; j’étais dans l’équipe Pitch (oral d’appel d’offres) qui met en place tous les supports de communication visuelle et audiovisuelle pour remporter les appels d’offres auprès des futurs clients.

C’est un métier très intéressant car il y a beaucoup de bureaux à Tokyo et j’étais amené à sortir régulièrement pour effectuer, par exemple, des vidéos d’immeubles que nous devions promouvoir.

Je prenais mon vélo et j’arpentais les rues de Tokyo et cela m’a permis d’avoir une autre compréhension de la ville et de son urbanisme.

Malheureusement, les mauvaises relations interpersonnelles au sein de mon équipe de travail ont pris le dessus et à la fin de l’année 2021, j’ai finalement décidé de quitter mon emploi…

J’étais dans l’incapacité de continuer à mener sereinement mes missions dans cette entreprise car j’étais en conflit avec l’un des managers. Le poste me plaisait et j’avais la motivation financière mais cela ne suffisait pas.

Tu as sorti une vidéo il y a quelques mois sur YouTube où tu expliquais à tes abonnés ta décision de quitter le Japon. Peux-tu nous donner plus de détails ?

La raison principale est quand même liée aux aspects négatifs de ma vie professionnelle, qui a eu un impact sur ma vie privée.

Avec le recul, j’ai peut-être réagi de manière excessive mais plusieurs raisons m’ont poussé à vouloir quitter ce pays qui m’avait fait tant rêver : une ambiance de travail compliquée, mais aussi une routine qui s’était installée et qui m’empêchait de profiter pleinement de ma vie à Tokyo, ainsi que des difficultés pour m’adapter à cette société japonaise. Beaucoup de choses sont aseptisées, la « culture de l’intimité » empêche parfois les conversations profondes même avec des amis proches, les procédures administratives mais aussi certaines conditions de vie qui peuvent être pesantes au quotidien comme par exemple, la chasse aux vélos (difficile de garer son vélo sans être sanctionné) ou l’été qui est très difficile à vivre avec une chaleur étouffante…

Avec ma compagne qui est d’origine taïwanaise, nous avons donc décidé de partir vivre à Taïwan ; c’est un bon compromis car c’est aussi un pays merveilleux et proche du Japon, un pays que j’adore toujours mais surtout en tant que touriste ! J’ai envie de retrouver cette atmosphère particulière que je ressentais en tant que touriste au Japon et que j’ai perdu en y vivant au quotidien.

Concernant ma situation professionnelle, je suis en contact avec une entreprise française basée à Taïwan, avec qui j’ai travaillé en freelance pendant plus d’un an et qui souhaite me salarier là-bas.

Manu : Je quitte le Japon.

Et où en est ce projet de déménagement à Taïwan ?

Les frontières avec Taïwan sont malheureusement fermées à cause de la crise sanitaire !

Je suis parti en France en fin d’année avec ma compagne qui a pu se rendre de son côté à Taïwan dès notre retour à Tokyo. Mais actuellement, le seul pays où nous avons le droit d’habiter et de travailler ensemble légalement… c’est le Japon !!

Nous souhaiterions nous marier d’ici l’année prochaine, ce qui me permettrait d’entrer à Taïwan, mais nous ne voulons pas faire ce mariage pour faciliter nos problèmes administratifs…

Comment vis-tu cette période ?

C’est une période délicate car le visa de ma compagne se termine bientôt. Si elle doit retrouver un travail au Japon, cela repousserait notre projet de vivre à Taïwan.

De mon côté, j’ai un visa travail avec le Japon jusqu’en 2024 et je suis toujours en freelance avec l’entreprise française basée à Taïwan en attendant de pouvoir m’y rendre. Je tiens d’ailleurs à saluer leur patience car c’est assez rare pour le souligner.

Tout va se jouer dans les prochains mois !

Est-ce que finalement tu ne souhaiterais pas travailler exclusivement en freelance dans ton domaine plutôt que d’être salarié dans une entreprise, ce qui te permettrait de travailler n’importe où ?

De nombreux graphistes/designers travaillent effectivement en freelance mais ce qui me manquerait, c’est ce sentiment d’appartenance à une entreprise. Le partage et le contact avec les collègues est important pour moi. En tant qu’indépendant, même si on contribue au succès de l’entreprise, on ne le ressent pas de la même façon…

Il y a aussi le problème du visa ; au Japon, par exemple, on doit déclarer un certain montant de revenus pour garder son visa.

As-tu parfois eu le mal du pays et l’envie de rentrer en France ?

On l’a tous à un moment donné mais non, je n’ai jamais eu l’envie de rentrer définitivement !

La seule chose qui me fait rêver en France, ce sont les grandes maisons avec jardin, ce qui est difficile à avoir en vivant à Tokyo…

Que ce soit à Taïwan ou à Tokyo, on aimerait bien dans ce cas s’éloigner et être plus proche de la campagne… si nos emplois nous permettent de faire du télétravail.

Tu as fait partie de l’aventure « Nomikai » une émission hebdomadaire que tu as présentée sur Twitch avec notamment Ichiban Japan, et qui rassemblait plus d’un millier d’abonnés chaque semaine jusqu’à son arrêt il y a quelques mois... Comment vous est venue l’idée de cette émission et que t’a apporté cette expérience ?

Avec Guigui (Ichiban Japan), Amine, Louis et moi, on a eu l’idée de créer cette chaîne un jour où on s’ennuyait à jouer à FIFA !

La tendance « Twitch » commençait à prendre de l’ampleur mais on a mis du temps pour monter ce projet car il s’agissait d’une vraie émission avec du matériel à acheter et beaucoup de préparation.

On a pris du plaisir à la réaliser et à la présenter ensemble. De mon côté, cette expérience m’a apporté plus d’aisance à l’oral ; j’ai aussi appris beaucoup de choses sur la culture japonaise en faisant mes recherches sur des thématiques très différentes.

Émission Nomikai

As-tu d’autres projets sur les réseaux sociaux ?

J’aimerais reprendre les lives balades sur ma chaîne Twitch à Tokyo ou à Taïwan.

Avec la crise sanitaire et l’impossibilité pour les gens de se déplacer, c’est malheureusement pour eux un des seuls moyens de « voyager » et ces lives ont bien marché. C’est un mal pour un bien de notre côté ; j’ai d’ailleurs une grosse pensée pour tous les Français et autres francophones qui suivent ces streams et qui sont de plus en plus nombreux.

Je souhaite aussi développer mon compte instagram pour la photographie. J’ai mis du temps à me mettre à la photo car en tant que graphiste, j’aime contrôler les formes, les couleurs, les textes …! Au fur et à mesure, j’ai pris du plaisir et découvert de l’esthétisme et de la beauté dans ces moments instantanés.

Pour finir, tu nous a déjà parlé d’Hokkaido mais quels sont tes autres lieux préférés au Japon ?

A Tokyo, j’aime beaucoup le quartier de Koenji, avec tous ces restaurants situés sous le métro aérien qui donne une ambiance authentique.

J’aime bien aussi Nakano à côté de Koenji, pour son côté plus moderne avec son grand parc.

Dans le reste du Japon, j’ai adoré l’île de Sado au large de Niigata. J’étais resté quelques jours sur l’île et j’avais été impressionné de voir de quelle façon ses habitants menaient leur vie littéralement coupés du monde.

Futatsugame, île de Sado

Sinon, je n’ai pas encore visité le Sud du Japon, j’aimerais notamment me rendre à Okinawa.

Merci Manu pour cet entretien passionnant, je te souhaite beaucoup de réussite dans tous tes projets ! A bientôt à Tokyo ou à Taïwan !

Vous pouvez suivre Manu sur les réseaux sociaux :

Twitter : https://twitter.com/tokyotidien

Chaîne Twitch : https://www.twitch.tv/manuenlive?sr=a

Chaîne YouTube : https://youtube.com/c/Manuketown

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