En 2012, après plusieurs années passées à Tokyo et affecté par la catastrophe nucléaire de Fukushima, Wakame Tamago accompagné de sa famille, quitte la capitale nipponne pour s’installer dans un village perdu au milieu des montagnes, à la recherche d’une vie plus simple et loin du quotidien tokyoïte. Aujourd’hui, ce Charentais d’origine se livre sur son aventure dans la campagne japonaise, marquée par sa rencontre avec un charpentier devenu son ami, et illustrée dans sa bande-dessinée « Retour sur Terre ».
Wakame Tamago, peux-tu te présenter ?
Je suis né à Rochefort il y a 50 ans, mes parents sont des Charentes mais j’ai grandi en région parisienne.
J’ai effectué des études d’ingénieur à Paris puis en 1995, je suis parti pour le Japon.
C’était avant l’époque des mangas. J’étais attiré par cette culture différente. Je n’avais que ce pays en tête ; j’étais d’ailleurs venu faire deux séjours assez courts dans l’archipel et j’avais commencé à apprendre la langue, avec la méthode Assimil.
Que signifie ton nom « Wakame Tamago » ?
Il s’agit d’un pseudonyme. Wakame signifie algue et Tamago oeuf. Quand j’habitais à Tokyo il y a plusieurs années, j’allais déjeuner tous les jours dans une échoppe où l’on mange un bol de nouilles pour 500 yens, debout contre un comptoir. J’ai testé toutes les combinaisons possibles pendant plusieurs mois, et j’ai trouvé que le mix wakame et tamago était vraiment très bon. D’autre part, ça sonne très bien !
Comment se sont passées tes premières années au Japon ?
Je travaillais au sein d’une entreprise à Tokyo et au bout d’un moment, j’ai eu besoin d’un changement, et je suis revenu en Europe… mais après quatre années passées en Allemagne, en Espagne et en France, le Japon m’a vraiment manqué. J’ai eu l’opportunité avec mon employeur de l’époque de pouvoir y retourner, et cela fait maintenant dix-huit ans que je suis « rentré » au Japon.
Comment était ta vie à Tokyo après ton retour ?
Avec ma femme -Japonaise-, on avait une vie qui nous plaisait. On s’y sentait bien et on y a passé de bons moments.
Mais la catastrophe nucléaire de Fukushima en 2011 a tout changé…
Qu’est-ce que cet événement a changé dans votre vie ?
Même avant la catastrophe, je me sentais toujours « emprisonné » dans le train-train quotidien du salary man. Il me manquait de l’espace. En plus, nous avions fait l’erreur stratégique de ne pas prendre de voiture, ce qui nous aurait permis de partir les week-ends à la montagne ! Car ce n’est pas si loin de Tokyo.
Et avec ce qui s’était passé à Fukushima, j’étais très inquiet par la contamination de l’alimentation et les possibles effets sur la santé de notre enfant, qui était très jeune à l’époque… Tout le monde réagit différemment. Dix ans plus tard je me dis que j’ai peut être surréagi mais sur le moment, j’ai été très affecté et extrêmement soucieux.
Après de longues hésitations nous avons décidé de quitter Tokyo. Quitter et fuir, c’est simple. Mais il fallait aussi que ce geste soit positif et constructif pour nous. C’est ainsi que nous avons décidé de vivre à la campagne.
J’avais aussi la chance de pouvoir travailler à domicile et de n’importe où !
Pourquoi avoir choisi de vous installer dans le Kansai ?
On a procédé par élimination. Nous avions pensé à Kyushu mais finalement le Kansai, avec Osaka et son aéroport international, était plus réaliste d’un point de vue professionnel et s’est imposé rapidement. On s’est alors focalisé sur la ville de Himeji et ses environs, car sa gare Shinkansen est reliée à Tokyo.
Quand ma femme a regardé sur internet pour chercher des maisons, la première qu’elle a vu est celle où nous habitons aujourd’hui !
Pour quelles raisons avez-vous acheté cette maison ?
C’est une maison ancienne située dans un petit village au Nord d’Himeji, au milieu d’une petite vallée en cul-de-sac et donc un peu protégée. La maison est proche d’une rivière, entourée d’anciennes rizières et de montagnes recouvertes de végétation. Même dix ans plus tard, je ne me lasse pas de ce paysage magnifique !
Cet environnement nous a beaucoup plu et nous n’étions pas trop isolés, avec des voisins à proximité -une centaine d’habitants dans le village-, et une école primaire pour notre fils, à cinq minutes à pied.


Quelle a été la réaction de ton employeur quand tu l’as informé que tu quittais Tokyo ?
Je travaille pour une entreprise US dans les infrastructures internet. Je me suis donc rendu aux États-Unis pour voir mon manager, je lui ai exposé mon plan et il a accepté sans souci.
D’autant plus que j’ai une très bonne connexion internet, même meilleure qu’à Tokyo ! Il y a une raison géographique : on est entouré de montagnes et les ondes hertziennes pour la télévision ne passent pas. Il y a 20 ans, il y avait des antennes radio partout puis tout à été retiré au profit du câble.
Comment s’est passée votre intégration dans ce village ?
Les habitants nous ont très bien acceptés. Ils sont très ouverts. Le fait que l’on soit avec un enfant a dû aider aussi, car il y a très peu d’enfants dans ces villages.
Dès notre arrivée, nous sommes allés saluer le chef du village et nous nous sommes présentés à tout le monde avec des petits gâteaux.
L’accueil est très différent d’un village à l’autre. Dans certains cas, on va demander une somme d’argent pour financer des travaux d’irrigation par exemple. On appelle ça le nyusonryo, ce qui peut être un point bloquant pour les gens qui ne connaissent pas le système… surtout que parfois la somme demandée peut monter jusqu’à 3000 € ! A y réfléchir cela peut avoir l’avantage de « sélectionner » les gens qui viennent s’installer, et de tester leur niveau de motivation. Car venir vivre dans un village signifie rejoindre une communauté. C’est un engagement… Tout a un sens.
Comment ton fils et ta femme ont vécu ce changement de vie ?
Mon fils avait 8 ans quand nous avons déménagé. Ce changement a été un peu plus difficile pour lui car il a changé complètement d’environnement. Il a été très bien reçu mais il lui a fallu du temps pour s’adapter à cette nouvelle vie. Aujourd’hui, tout va bien, il est au lycée, à 45 minutes de notre domicile.
Ma femme n’est pas de la région, elle est originaire de Kyushu mais elle n’a eu aucun souci pour s’adapter. Elle a pu développer son activité d’homéopathe.
Avez-vous réalisé des travaux dans votre maison ?
Nous avons fait le minimum : électricité, sanitaires, cuisine, plancher. En habitant une maison ancienne, il y a le risque de tout refaire et cela peut devenir un chantier sans fin. Il est bon de se fixer une limite.
Que peux-tu nous dire sur cette maison ?
Lors de l’achat de cette maison de 90 m² (sur un terrain de 800 m²), on nous avait dit qu’elle datait de l’après-guerre. Mais en discutant avec les voisins plusieurs années plus tard, on a su qu’en réalité elle datait de l’ère Meiji et avait plus de 150 ans ! La toiture a été refaite après la guerre ; le toit de chaume avait été reconverti en une toiture plus moderne avec des tuiles, mais la structure de la maison est inchangée depuis son origine.
La maison est donc traditionnelle. Il y a un doma (entrée de la maison), des engawas (couloirs extérieurs) et caetera. Il y a une chose que l’on dit rarement sur ces maisons traditionnelles : c’est que l’on y dort excessivement bien. Sans doute parce que la maison qui est faite de bois et de terre, respire, comme nous !

Dans un article sur mon blog datant de 2012, je parle notamment de la structure de la maison : c’est typique des maisons traditionnelles japonaises avec en premier lieu une grande entrée, puis sur la droite on trouve une large pièce qui était l’espace réservé à la vache (autrefois, chaque foyer avait une vache pour aider aux travaux dans les champs), tout droit il y a une petite cuisine que nous avons rénovée et enfin on a quatre pièces avec des tatamis et au fond un espace pour le butsudan (autel bouddhiste).
Au niveau de l’isolation…. il n’y en a pas ! L’hiver, on chauffe une pièce avec un poêle à bois. On dort très bien sans chauffage, on est bien couvert et on ne gèle pas.
Subissez-vous beaucoup de catastrophes naturelles dans votre vallée ?
On est moins exposé que certaines régions. Les typhons arrivent par le Sud et ce sont les îles de Kyushu et Shikoku qui sont souvent les premières impactées… les typhons arrivent toujours un peu atténués dans notre vallée. L’orientation de la vallée permet aussi d’arrêter les vents puissants lorsqu’ils arrivent de l’ouest.
Il y a cependant des risques d’inondation et de glissements de terrain. Il nous est arrivé une fois de devoir évacuer les maisons en plein match de football de la Coupe du Monde ; nous nous étions réfugiés avec tous nos voisins à la mairie. Tout le monde était si calme … je devais être le seul à être stressé !
Comment décrirais-tu ta vie à la campagne ?
En fait, j’ai l’impression de « retrouver » mes origines. Cela me rappelle la vie que menait mon grand-père. Il était ostréiculteur à l’île d’Oléron et il passait tout son temps libre à s’occuper d’abeilles, de brebis, à chasser… Je suis en train de reproduire les mêmes choses que lui. Mais je ne suis pas à son niveau !
Aujourd’hui, je ne me dis pas : « je vis au Japon » mais plutôt « je vis à la campagne ». Je ne me sens pas dépaysé.
Par contre, je suis parti de zéro et j’ai dû tout apprendre. J’ai fait beaucoup d’erreurs au début.
J’ai appris à jardiner, à me servir d’une tronçonneuse, à produire mon propre thé grâce à mon voisin Saki-chan qui est devenu un très bon ami.
Tu parles beaucoup de ce voisin Saki-chan sur ton blog et dans ta bande-dessinée « Retour sur Terre », que peux-tu nous dire sur lui ?
J’ai une anecdote à son sujet : un soir, on était dans la cuisine avec ma femme et tout d’un coup, on entend un bruit énorme dans la maison. En fait c’était un animal (un anaguma) qui grattait sous le plancher ! C’était la panique !
Je suis allé voir tous mes voisins et l’un d’eux m’as dit : « tu vas appeler Saki chan« . Ce Saki chan était charpentier. Il fait la moitié de ma taille et je ne comprenais rien à ce qu’il me disait car il parle dans le dialecte local (le banshu ben). Même ma femme ne le comprenait pas !
Dans les maisons traditionnelles, il y a un couloir extérieur tout autour de la maison et je me suis aperçu que dans les fondations, il y avait des trous partout. C’est par un de ces trous que l’animal était rentré et je me disais qu’il fallait juste tous les refermer… sauf que Saki chan m’a appris que ces cavités servaient à aérer la maison et à chasser l’humidité. Il a finalement posé des grilles pour éviter que les animaux entrent, sans que cela n’empêche l’aération des fondations.
Un peu plus tard nous lui avons demandé de démolir une petite maison qui était sur notre terrain et qui était en très mauvais état pour y construire quelque chose de nouveau à la place. Il l’a fait selon les techniques traditionnelles : bois à partir d’arbres qu’il avait coupé lui même dans notre vallée, murs en torchis… Observer tous ces travaux a été une expérience magnifique. J’ai tout photographié ! C’était sans doute la première fois que quelqu’un s’intéressait autant à un de ses chantiers.
Avec Saki chan nous sommes devenus de très bons amis. Nous sommes en réalité inséparables. Il est aussi mon guide, mon sensei.
D’ailleurs -et c’est si improbable-, nous voyons le monde exactement de la même façon et tombons toujours naturellement d’accord. A croire que je suis venu ici au village pour faire sa rencontre.
Un été il m’a d’ailleurs pris en stage ; chaque week-end j’allais travailler dans son atelier, il me guidait et m’enseignait les gestes et les techniques de construction. Cela a pris quatre mois. A partir d’arbres coupés dans notre montagne, nous avons ainsi construit un abris en bois (pergola ou azumaya), selon les techniques traditionnelles.


Son travail est remarquable, je l’ai suivi sur de nombreux chantiers, j’ai pris des photos et des vidéos car ce qu’il faisait est passionnant.





Tout ce que j’ai appris à la campagne, c’est grâce à lui. Je vais le voir, lui pose des questions, il me montre, je rentre chez moi et je copie les gestes !
Saki chan est bien sûr un personnage central dans ma BD, mais aussi sur mon blog.
Justement, peux-tu nous parler de tes bandes dessinées « Tout ira bien » et « Retour sur Terre » ?
Ma première BD « Tout ira bien », était comme un exercice de thérapie car elle est inspirée de l’accident nucléaire de Fukushima… même si je ne parle pas de Fukushima. C’est dans un cadre imaginaire, féodal, ça ressemble à une fable. J’ai décrit tous les processus que l’on a vu, la façon dont les politiques et les médias ont réagi et toutes les informations contradictoires. Et puis, il y a toujours une personne vraiment honnête qui va sacrifier sa carrière pour dire certaines vérités.
Cette BD publiée en 2016 m’a pris plus de quatre ans pour la réaliser en y travaillant le soir, le week-end et pendant mes voyages d’affaires aux US.
J’ai ensuite eu l’envie de raconter notre arrivée et notre installation à la campagne dans la BD « Retour sur Terre » qui est sortie il y a quelques semaines.

Au début, je parle surtout de nous, de la réalité de ce que nous avons vécu… nos expériences, un peu comme un roman graphique. Très réaliste. Puis, à un moment donné, l’histoire diverge pour laisser place au fantastique et au merveilleux.
Les personnages principaux sont Saki chan, les animaux de la vallée, et …moi ! Cette BD, c’est un condensé de notre vie à la campagne.
J’ai mis cinq ans pour faire cette nouvelle BD. Beaucoup de soirées et de week-ends pluvieux y sont passés !
J’ai trouvé une petite imprimerie située au nord de Kyoto. Pour moi c’est important que ce livre soit imprimé au Japon.
As-tu des regrets ?
Il y a forcément des choses qui me manquent comme la famille que je n’ai pas vu depuis deux ans… et le fromage !
Mais le seul regret que l’on peut avoir avec ma femme, c’est de ne pas avoir pris la décision de venir vivre ici plus tôt, il y a vingt ans ! Mais bon, peut être que Tokyo (et le métro boulot dodo) était un passage nécessaire pour nous avant de vivre cette aventure.
Quels sont tes projets ?
Je vais continuer à faire connaître ma BD via mon blog ; c’est une petite audience mais c’est très touchant de voir que notre aventure intéresse les gens. Et puis le retour très positif des lecteurs est très encourageant.
Je suis un amateur, je dessine pour le plaisir mais également pour faire connaître mes idées.
Cette BD, c’est aussi un message adressé aux Japonais qui habitent Tokyo et les grandes villes, et qui dépensent une fortune pour se loger dans du béton, alors qu’une autre vie est possible… J’ai envie de leur dire aussi que c’est dommage de voir toutes ces vieilles maisons détruites régulièrement, et tous ces villages laissés à l’abandon alors que l’on y vit très bien !
Je suis d’ailleurs en train de traduire la BD en japonais. Certains dialogues seront dans le patois local. Je l’enverrai à la TV et aux journaux de la région pour la faire connaître !
Pour finir, quels sont tes lieux préférés au Japon ?
Il y a un lieu que j’ai visité il y a très longtemps : la ville de Kochi dans l’île de Shikoku et ce qui m’a marqué, c’est que dans les rues, toutes les femmes étaient belles !
Sinon depuis notre installation, je n’ai pas pris beaucoup le temps pour voyager mais récemment on s’est un peu baladé sur la côte Nord dans la préfecture de Tottori où habite Farid (que j’avais contacté il y a quelques années car surpris de voir un autre Français installé en pleine campagne !). Il y a là-bas des coins de campagne fabuleux ; on appelle cela le Ura Nihon, « le Japon du dessous ». C’est une région qui est moins industrialisée et plus rurale : tout y est plus authentique ! Et à une heure d’ici, on peut se rendre dans des villages de pêcheurs préservés… ce sont des endroits magnifiques.
Mais finalement; dès que l’on s’éloigne des gares et des sentiers battus, on va découvrir immanquablement des pépites ; la campagne Japonaise en regorge : paysages, villages, temples, sanctuaires…
Merci Wakame Tamago pour cet entretien passionnant ! A très bientôt à Himeji !

Vous pouvez suivre Wakame Tomago sur son blog : https://inaca.me/
Très touchant, sage et inspirant! Un mode de vie auquel j’aspire et des ambitions partagées ☺
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