L’aventure nipponne d’Angelo, guide et photographe à Osaka

Guide au sein du collectif Japon Safari, photographe, auteur du blog « Horizons du Japon » et du livre « Quelque chose du Japon », Angelo qui vit à Osaka depuis dix ans, a de multiples activités. Dans cet entretien, il évoque son parcours qui l’a mené jusqu’au Japon, nous parle avec passion de sa ville d’adoption, et se livre sur les difficultés rencontrées en pleine crise sanitaire, ainsi que sur son nouveau projet vidéo : « musubi » sur Youtube.


Angelo, peux-tu te présenter et nous raconter ton parcours ?

Je m’appelle Angelo Di Genova, j’ai 37 ans et j’ai grandi à Strasbourg, d’un père Français et d’une mère Italienne.

Je suis parti en voyage au Japon pour la première fois en 2006. C’était un long voyage de deux mois et demi qui a véritablement bousculé ma vie et la vision que j’avais du monde. 

De retour en France, j’ai fait des petits boulots pour vivre et économiser un maximum d’argent pour pouvoir y repartir les années suivantes. Tout mon argent passait dans des projets de voyage.

À partir de 2007, l’idée de travailler dans le tourisme a germé, et en 2009 c’est devenu une réalité. À cette époque je ne vivais pas au Japon, mais entre 2009 et 2011, j’enchainais deux ou trois séjours au Japon par an pour travailler et guider des voyageurs sur place. En 2012, après le séisme suivi du tsunami de la côte pacifique du Tohoku et de l’accident nucléaire de Fukushima, j’ai effectué une année en PVT au Japon.

Puis je me suis marié avec ma copine rencontrée en 2009 et me voilà, ici, dix ans plus tard à répondre à tes questions !

Qu’est-ce que qui t’a poussé à venir vivre au Japon ?

Le Japon, c’est un vieux rêve. Je n’avais pas forcément envie d’y vivre, mais je souhaitais surtout découvrir ce pays et l’explorer. Depuis tout jeune, de la pratique de l’aïkido à la culture populaire, le Japon revenait souvent dans ma vie.

De plus, j’ai toujours été attiré par les différences, les cultures lointaines, les nouvelles langues et aller à la rencontre des gens qui vivent ailleurs…

© Angelo Di Genova

De quelle manière as-tu appris à parler japonais ?

D’abord tout seul au collège, plus pour m’amuser qu’autre chose, et dans le même temps, j’ai dévoré plusieurs livres d’initiation à la langue japonaise parce que cela attisait ma curiosité. Puis, au lycée, je me suis inscrit à l’Université populaire de Strasbourg, qui proposait des cours de japonais pour tout le monde. J’ai étudié pendant quatre ans, tous les mercredis soir, motivé comme jamais ! Après le bac, je suis allé en Fac de japonais où j’ai pu profiter du haut niveau d’exigence requis pour obtenir des bases très solides. Ensuite, à force de voyager sur place, et de réviser, j’ai pu continuer à augmenter mon niveau. Mais, je dois dire que je n’ai finalement jamais aussi peu révisé le japonais que depuis que j’y vis.

As-tu rencontré des difficultés pour t’intégrer et te faire des amis ?

Non. C’est même plutôt moi qui mets des distances parfois. Je n’ai pas besoin d’avoir plein de potes et de sortir régulièrement. J’ai appris à m’en passer en économisant plus jeune pour me payer de gros voyages au Japon !

J’aime voir mes amis, qu’ils soient Français ou Japonais, mais j’ai un problème : j’ai toujours envie de fructifier mes journées, d’avancer, de travailler, de créer, ce qui laisse peu de temps pour le reste, ayant déjà une famille qui m’accapare une bonne partie de mon temps.

Mais sur la question de l’intégration, l’idée qu’on ne peut pas avoir d’amis au Japon ou réussir à s’intégrer parce qu’on est étranger me semble un peu faussée. Il y a clairement des divergences culturelles sur le concept même de l’amitié. La vie sociale répond à des codes souvent différents et s’attendre à pouvoir vivre au Japon comme en France d’un point de vue relationnel est compliqué. Ce n’est pas impossible, mais il faut bien comprendre que même les Japonais entre eux n’ont pas forcément une vie plus trépidante socialement que les étrangers qui disent rencontrer des problèmes d’intégration.

On pourrait en parler des heures, c’est un sujet passionnant, mais qu’il faut nuancer, avec de nombreuses réalités qui dépendent des contextes et des personnes côtoyées. 

Comment es-tu devenu guide à Osaka et de quelle façon as-tu intégré le collectif Japon Safari ?

J’avais déjà de l’expérience en tant que guide, mais de manière globale, sur tout le Japon. J’ai rencontré mon épouse à Osaka et j’ai commencé à passer bien plus de temps dans cette ville que partout ailleurs. Avant, j’étais plutôt un habitué de Tokyo. 

J’ai donc commencé à explorer Osaka en profondeur dès 2010 et je me suis vite rendu compte que l’image que j’avais de la ville était très réductrice. On lisait partout à cette époque qu’Osaka n’avait que peu d’intérêt, aucune histoire, que c’était « moche », industriel, avec peu de temples et de sanctuaires… Mais tout était très réducteur, voire faux ! L’idée de montrer le vrai visage d’Osaka est vite devenue une obsession. 

Et puis j’ai rencontré David Michaud, photographe, auteur, et créateur du collectif Japon Safari. On s’est vu quelques semaines après la catastrophe du 11 mars 2011. Il travaillait encore seul. On a sympathisé et évoqué l’idée de lancer son concept dans d’autres villes. Quelques mois plus tard, on a formé un trio : David Michaud à Tokyo, Yann Meunier à Hiroshima et moi à Osaka. 

Bannière « Osaka Safari »

Qu’est-ce que tu aimes dans cette ville ?

J’aime son contraste. C’est une métropole immense -deux fois plus grande que Paris-, mais avec une vraie culture et une identité locale. C’est rare de trouver cela ! Il y a un dialecte, des codes différents. Le trésor d’Osaka ce sont les gens, la mentalité, moins à cheval sur le paraître et plus directe. Osaka c’est une ville à sentir, il faut y flâner, se laisser porter, parce qu’elle ne caresse pas forcément les touristes de passage dans le sens du poil. Pour la « dompter », il faut du tempsd’où l’intérêt de la visiter avec moi !

© Angelo Di Genova / Habitant d’Osaka

C’est le Japon, mais disons, plus « asiatique », plus spontané, plus coloré, plus « bordélique » aussi et donc, souvent plus inventif. Et la ville regorge de petits coins insolites, sans parler de la région du Kansai, qui est un point culturel central du Japon. 

Tu as sorti ton premier livre en 2020 intitulé « Quelque chose du Japon »… Peux-tu nous en dire plus ?

En fait, l’éditrice de Nanika, la maison d’édition, m’a contacté en 2019 pour me proposer d’écrire le volume sur le Japon au sein de leur collection « Quelque chose de ». Ce sont des guides culturels qui présentent différents pays, mais toujours écrits par des jeunes un peu de la même génération qui ont un vécu important dans le pays qu’ils décrivent. Le but c’est vraiment de dessiner les contours d’une culture pour mieux appréhender un voyage sur place, ou simplement pour en apprendre plus. Ce ne sont pas donc pas des guides d’adresses, mais véritablement des introductions culturelles basées sur du concret, sur le terrain. 

Comme apparemment ce que j’écrivais sur mon blog Horizons du Japon depuis des années était en adéquation avec les besoins de la collection, j’ai donc accepté le challenge !

C’était une sacrée aventure intellectuelle parce que réussir à traiter autant de sujets, en étant synthétique, ce n’est pas une mince affaire ! Surtout sur la partie histoire, je crois avoir réussi à proposer un récapitulatif très digeste.

« Quelque chose du Japon » propose plusieurs chapitres, comprenant de l’histoire, des croyances religieuses, de la gastronomie, des arts ou de la vie quotidienne. Par exemple : quelle est la différence entre un shogun et l’empereur ? Comment différencier une maiko d’une geisha ? Qu’est-ce que l’umami réellement ?

Je réponds à toutes ces questions et donne des clés pour saisir un très grand nombre de sujets : comprendre le bouddhisme japonais, saisir la notion de wabi-sabi ou encore la raison pour laquelle les Japonais disent que les grossesses durent dix mois et non neuf !

Et pour ce livre j’ai pu solliciter les talents de Morgane Boullier pour intégrer des illustrations magnifiques. Morgane est vraiment douée, avec un univers visuel très intéressant.

Illustration de Morgane Boullier

Tu as créé ta chaîne YouTube nommée « musubi », peux-tu nous parler du contenu que tu proposes ?

La vidéo c’est une vieille passion, mise de côté finalement en venant vivre au Japon. Cela fait des années que j’avais très envie de reprendre, mais c’est une activité très chronophage et jusqu’à récemment, mes activités de guide me prenaient tout mon temps.

Je profite donc du calme lié à la crise sanitaire pour tenter de lancer un projet vidéo, que j’ai nommé « musubi », qui signifie le noeud, le lien, en l’occurrence celui qui relie les gens, la culture et les connaissances. 

Le but c’est vraiment de proposer des vidéos à fort caractère culturel où l’on découvre et apprend plein de choses parce que le Japon réclame qu’on prenne du temps pour le présenter et surtout qu’on sollicite les bonnes personnes pour parler d’un sujet. Ce n’est pas une chaîne YouTube qui tourne autour de ma personne. On y parle du Japon avant tout, le seul véritable fil conducteur.

Il y a donc plusieurs formats, des interviews de connaisseurs, des documentaires, de la vulgarisation culturelle que j’assure face-caméra comme par exemple cette vidéo sur des maisons construites dans un stade de baseball : https://youtu.be/sQa-bsxDIEU

La chaîne vient tout juste de commencer et je compte vraiment sur le soutien et l’aide de tous pour la faire connaître, car j’ai vraiment de nombreuses idées afin de développer le projet et proposer du contenu de qualité sur le Japon.

J’ai aussi fait une vidéo avec Morgane -l’illustratrice de mon livre- pour parler du sumi-e, l’art de la peinture à l’encre japonaise qui l’inspire tant : https://youtu.be/vMxCHuSflMk

© Angelo Di Genova

Comment t’est venue ta passion pour la photographie ?

C’est vraiment en voyageant au Japon avec l’envie d’immortaliser ce qui me marquait. J’avais déjà de bonnes notions de cadrage et de technique grâce à la vidéo donc cela n’a pas été un apprentissage contre nature. Finalement, je me suis pris au jeu, et j’ai pu travailler comme photographe avec différentes entreprises ou organismes touristiques. 

Actuellement, j’ai un Fujifilm X-T1, un appareil qui commence à être un peu ancien ! Mais j’adore le « touché » des Fuji. C’est vraiment très agréable à utiliser, très organique, chaleureux et l’entreprise propose des objectifs d’excellente facture. C’est une marque intéressante avec une identité forte. Cela fait du bien dans le paysage photographique !

© Angelo Di Genova

As-tu parfois le mal du pays ?

Oui ! Je pense que nous l’avons un peu tous par période. Je n’ai jamais autant aimé la France que depuis que je n’y suis plus ! Après, j’ai appris à vivre loin d’elle, mais j’ai des périodes où j’ai vraiment envie de rentrer. Avec ma double culture c’est souvent une envie de Strasbourg en hiver avec Noël, et en été, une grosse envie d’Italie

Ce qui me manque le plus venant d’Europe, c’est la nourriture (ah le fromage !!), et certains paysages que l’on retrouve difficilement au Japon, où finalement tout se ressemble un peu. Je pense sincèrement, que les paysages au Japon sont un peu moins variés que chez nous. 

J’ai aussi des envies de repas dans un jardin en famille, de bonnes bières en terrasse avec les amis, des choses simples. Mais le plus important c’est la famille. La distance est parfois compliquée. Sinon, tout se passe bien au Japon. La vie est quand même agréable quand on peut faire un travail qui nous plaît… ce qui est finalement le plus compliqué à trouver.

Quel est ton bilan de toutes ces années passées au Japon ?

Le bilan est humainement positif. J’ai grandi en tant que personne, j’ai fondé une famille, c’est chouette ! Professionnellement, j’ai subi quand même deux évènements importants très difficiles à vivre, m’obligeant à pratiquement repartir de zéro : en 2011 à cause de la catastrophe de Fukushima, et actuellement à cause du Covid-19. C’est dur de voir ce que l’on a construit avec tant d’efforts s’effondrer et de prendre ces deux revers en seulement dix ans. 

Comment te vois-tu dans quelques années ?

Franchement, la pandémie ne rend pas la réponse aisée… Je m’imagine continuer à travailler en tant que guide quand les frontières vont rouvrir, parce que j’ai de l’expérience et que je suis bon dans ce métier. Mais il est possible que ce ne soit plus autant qu’avant, que je me diversifie encore un peu plus, notamment avec « musubi », un projet qui, je l’espère, m’offrira de nouvelles opportunités de travail.

À priori, je reste à Osaka puisque toute la belle-famille est ici. Et pour le reste, j’espère que les « kami » seront cléments avec nous !

Et ma dernière question : quels sont tes endroits préférés au Japon et en particulier à Osaka ?

Parmi les lieux les plus connus à Osaka, j’aime bien le quartier populaire Shin-Sekai qui signifie « le nouveau monde », un quartier assez unique en son genre.

© Angelo Di Genova / Quartier Shin-Sekai à Osaka

J’aime aussi le sanctuaire shinto Sumiyoshi, le plus grand sanctuaire d’Osaka qui est vraiment magnifique.

Dans un autre registre, l’architecture Taisho du début du 20ème siècle qu’on retrouve autour de la petite île de Nakanoshima située au Nord du centre-ville d’Osaka est très intéressante.
Et puis le Parc du Château avec ses 106 hectares de verdure, à découvrir surtout au printemps ou à l’automne grâce à sa végétation extrêmement variée.

© Angelo Di Genova / Nakanoshima


Concernant le reste du Japon, j’ai un petit faible pour les extrêmes : Okinawa et Hokkaido, parce que pour le coup ces deux destinations changent vraiment du cadre quotidien. J’aime les régions reculées, naturelles où quand je pose mon regard, je ne vois pas de bâtiment disgracieux comme il y en a tant ici, un pachinko kitsch perdu dans les rizières ou des tours de télécommunications affreuses qui surplombent des quartiers historiques !

Il y a de magnifiques lieux au Japon, mais très sincèrement, la laideur engendrée par les initiatives des autorités locales n’est jamais loin. Il y a beaucoup de gâchis de paysage, même si on peut s’en dédouaner en prétextant que c’est à cause des catastrophes naturelles. Il y a en réalité une certaine suffisance vis-à-vis de l’entretien du paysage et du patrimoine au Japon. Le pays pourrait être encore plus beau avec une politique différente. Heureusement, les endroits jolis ne manquent pas, mais ce ne sont souvent que des « spots ».

Pour moi, le Japon est un pays de spots. C’est magnifique, mais en général il ne faut pas trop regarder les détails autour ! C’est une autre sensibilité… Faut savoir faire avec, c’est aussi cela l’immersion culturelle

Merci Angelo pour ton témoignage ! A bientôt à Osaka !

Vous pouvez retrouver Angelo sur internet et les réseaux sociaux :

RéseauxFacebook [HorizonsDuJapon]  | Twitter [@HorizonsDuJapon] | Instagram [@HorizonsDuJapon]
Sites HorizonsDuJapon.com | Osaka Safari

Musubi : 

FB : https://facebook.com/musubi.video

Instagram : https://www.instagram.com/musubi.video

YouTube: https://youtube.com/c/musubivideojapo

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