Elisa, artiste et gérante de la Yomogi Guesthouse à Tokoname

Originaire de Suisse, Elisa accompagnée de son mari Shota et de ses deux filles, vit une très belle aventure au pays du Soleil Levant. Dans cet échange, elle nous parle de son parcours, de sa passion pour le dessin mais aussi de son projet de développer l’activité de sa guesthouse qu’elle tient avec son époux à Tokoname près de Nagoya, en espérant une réouverture prochaine des frontières…

Elisa, peux-tu te présenter et nous parler de ton parcours ?

Je m’appelle Elisa Tramontana et je suis née il y a 30 ans en Suisse à Lausanne. J’allais plusieurs fois par an dans la partie italophone voir ma famille, donc je parlais italien à la maison et français à l’école.

Pendant mes études, j’ai intégré une école d’arts appliqués en céramique et c’est par ce biais que j’ai découvert le Japon ; la céramique japonaise étant l’un des arts les plus anciens du Japon.

J’ai pu partir au Japon en 2013 lors d’un stage de trois mois, grâce à mes professeurs qui avaient de nombreux contacts sur l’archipel.

Je ne me suis jamais vraiment intéressée à la culture manga et je n’étais pas spécialement attirée par ce pays à part pour sa céramique, du coup je ne savais pas trop à quoi m’attendre…

Comment s’est passé ce stage ?

En fait, ce stage a été une aventure extraordinaire ! J’ai passé trois mois chez un couple de céramistes à Tokoname, dans la préfecture d’Aichi près de Nagoya. C’est l’un des lieux les plus connus de la céramique au Japon, et la spécialité de Tokoname est la théière avec une anse sur le côté.

Vivre au quotidien pendant plusieurs mois avec ce couple a été une expérience humaine incroyable ! En plus de l’apprentissage de la céramique, j’ai appris la cuisine avec eux, j’ai aussi rencontré beaucoup d’autres céramistes par leur intermédiaire. Je pensais pouvoir visiter un peu le Japon le week-end, mais on travaillait six jours sur sept !

J’avais pu visiter furtivement Tokyo et Kyoto deux semaines avant mon stage, et je m’étais dit qu’à la fin de mes études, je prendrai une année sabbatique pour revenir visiter le pays.

J’avais vraiment adoré cette culture, je me sentais bien, complètement dépaysée et en parfaite sécurité !

En quelle année es-tu revenue au Japon ?

Un après, en 2014 ! Je suis partie sept mois -dont deux semaines à Taiwan et deux semaines à Bali-, c’était la première fois que je voyageais seule !

Mon plan était de voyager à travers tout le Japon et finalement tout ne s’est pas vraiment passé comme je l’avais imaginé…

Qu’as-tu fait pendant ce séjour ?

J’avais prévu de faire une expérience de woofing -travail dans une ferme biologique- mais n’ayant plus de contact avec cette ferme, j’ai décidé de résider un mois dans une guesthouse à Kyoto et prendre des cours de japonais… Je prenais des cours gratuitement avec une Japonaise une fois par semaine.

En parallèle, j’avais sympathisé avec les deux personnes qui géraient la maison d’hôtes et… l’un des deux est aujourd’hui mon mari !

Au final, on s’est mis rapidement ensemble et je n’ai pas vraiment voyagé comme je l’avais prévu !

Le propriétaire de la guesthouse où travaillait mon compagnon avait l’intention de rénover et ouvrir une autre maison d’hôtes, et il avait besoin d’une personne en plus ; je suis donc devenue « aide », je faisais le ménage le matin et en contrepartie j’étais logée dans cette maison d’hôtes.

A la fin de mon visa touristique (d’une durée de trois mois pour la Suisse), il ne me restait plus beaucoup d’argent !

J’avais dû alors rentrer en Suisse ; Shota -mon futur mari- m’avait rejoint pendant ses vacances… Puis j’ai appris que j’étais enceinte !

Comment as-tu vécu cette période ?

Je n’avais que 23 ans, je n’avais pas de travail ni d’appartement et on ne se connaissait que depuis six mois…

Pourtant, on a décidé de rester ensemble en Suisse et de se marier. J’ai finalement trouvé un travail mais la première année n’a pas été facile pour Shota qui s’occupait de notre fille tout en prenant des cours de français ; il a pu finalement trouvé un emploi dans une épicerie japonaise et se faire des amis parmi ses collègues.

On a vécu en Suisse pendant trois ans avant de revenir au Japon en 2018.

Notre vie en Suisse se passait bien, mon mari s’était bien intégré et on a eu notre deuxième fille. Mais on s’était fixé comme objectif de repartir au Japon au bout de trois ans, c’est ainsi que nous sommes partis à Nagoya, la ville dont les parents de Shota sont originaires.

Vous aviez des projets ?

Shota avait envie de travailler le bois et avait facilement trouvé un emploi par le biais d’un ami charpentier.

Mais son rêve était d’ouvrir une guesthouse… Je connaissais bien Tokoname qui se trouve à 30 km environ de Nagoya ; on a donc décidé d’habiter une maison dans ce secteur à deux pas de la mer, et ouvrir une maison d’hôtes proche de notre habitation !

Peux-tu nous en dire plus sur votre maison d’hôtes ?

On a ouvert cette maison d’hôtes qui s’appelle la « Yomogi Guesthouse » il y a un an ; elle a été entièrement rénovée par Shota avec l’aide d’un ami, dans le style d’une maison japonaise traditionnelle.

L’ouverture s’est faite en pleine pandémie du Covid-19 donc l’activité a dû mal à démarrer sans les touristes étrangers même si pendant l’été, nous avons eu la visite de nombreux touristes Japonais.

Mais nous relativisons car malgré la crise sanitaire, nous avons eu quand même des clients et les retours sont très positifs.

En attendant, Shota a dû trouver un emploi de nuit pour pouvoir tenir financièrement. Mais nous sommes optimistes pour l’avenir et nous avons vraiment hâte que les frontières rouvrent pour pouvoir exercer cette activité à plein temps !

Elisa et son époux Shota devant la Yomogi Guesthouse

Et peux-tu nous parler de ta passion pour le dessin ?

J’ai arrêté la céramique pour le moment, même si j’aimerais bien reprendre plus tard et aujourd’hui je me suis prise de passion pour le dessin ! Je dessine principalement des femmes, des plantes et des fleurs, très colorées.

J’ai découvert les stylos Posca l’année dernière, c’est à ce moment-là que j’ai commencé à faire des dessins en couleurs. Et j’adore ça !
Mes dessins sont spontanés, pas vraiment planifiés à l’avance.
Le sujet de la femme et son corps m’intéresse. J’ai envie de montrer tout type de corps, des couleurs de peau différentes, des femmes avec de la corpulence, avec des poils… je souhaite sortir des stéréotypes de la femme « parfaite ».
En ajoutant des fleurs et des plantes, cela donne un côté calme, de bien être, de réflexion avec soi-même , un retour à la nature, et je trouve que le rendu s’équilibre bien.

A l’ouverture de la guesthouse, j’ai eu l’envie de les exposer, ce qui a beaucoup plu.

Et c’est vrai que la guesthouse se situe sur le « parcours de la céramique » avec de nombreux ateliers et de petites boutiques donc malgré la pandémie, il y a quand même beaucoup de passage.

On a donc décidé d’ouvrir le Yomogi Shop qui est un magasin « partagé » avec plusieurs de nos amis ou connaissances ; je vends mes dessins, et d’autres vendent de la céramique, de la vannerie, des bijoux et des accessoires faits à partir d’anciens skate.

Tu as créé le logo pour l’activité « WhoUman » de Virginie que j’ai interviewée il y a quelques mois et qui est en formation au Japon pour devenir praticienne Kobido… Peux-tu nous en dire plus ?

Virginie est devenue une très bonne amie et c’était un plaisir de créer ce logo. C’était la première fois que je dessinais pour quelqu’un !

Elle m’a donné quelques éléments qui étaient importants pour elle (éléments végétaux, humain,..). J’ai dessiné une personne androgyne pour le côté humain, puis j’ai ajouté des boucles d’oreilles pour le côté femme (Deux mots présents dans son logo) ; les yeux fermés pour un côté zen, lié au Kobido, et des éléments végétaux autour.

Logo de « WhoUman »

J’envoyais chaque dessin à Virginie, et on en discutait, elle me faisait un retour, et j’avançais selon ses demandes. C’était une très bonne expérience !

J’ai aussi créé une affiche publicitaire pour un fleuriste situé à Nagoya :

As-tu réussi à t’intégrer et à te faire des amis dans la région ?

La première année a été difficile : ma plus jeune fille était encore bébé, mon mari travaillait six jours sur sept et rentrait tard le soir et je parlais très mal japonais (et encore aujourd’hui ma fille de 5 ans parle mieux japonais que moi !)

C’était par conséquent compliqué de faire des rencontres et de se créer un réseau.

Mais à partir du moment où on a lancé le projet de la guesthouse, des choses positives se sont enchaînées… J’ai trouvé un emploi dans une garderie où j’enseigne le français  quelques heures par semaine, puis on s’est lié d’amitié avec un couple de Japonais dont les filles sont des camarades de classe de nos filles, la mère de famille parle très bien anglais et ils sont devenus de très bons amis… Et en début d’année, j’ai donc fais la connaissance de Virginie qui habite Nagoya et qui est devenue ma première amie Française.

Nous avons aussi rencontré d’autres gens par l’intermédiaire de la guesthouse, qui habitent notamment à Tokoname.

La particularité de cette ville, c’est qu’ici on retrouve beaucoup de personnes qui ouvrent leur propre commerce, ils veulent leur indépendance et ne plus vivre dans les grandes villes et travailler pour des entreprises japonaises avec des horaires interminables. Beaucoup sont aussi très ouverts et sensibles à l’écologie et à la préservation de la nature… On s’y sent bien.

Quels sont vos prochains projets ?

Vu que le Japon est de nouveau en état d’urgence et que les déplacements sont limités, je souhaiterais lancer un site internet pour vendre mes dessins, et Shota est entrain de construire un four à pizza pour la guesthouse. Ce qui permettrait dès que ce sera possible de vendre des pizzas le week-end, en complément de notre maison d’hôtes.

Avez-vous prévu de rester au Japon dans les prochaines années ?

Ce serait dommage de quitter tout ce que l’on est en train de construire au Japon, mais je pense que dans quelques années on repartira vivre en Suisse. Ma motivation principale serait de retrouver nos amis et ma famille.

Mais il y a aussi certains aspects négatifs de la vie japonaise qui m’ennuient vraiment comme le système scolaire qui est très stricte, des règles qui pour moi empêchent les enfants de s’épanouir et on le voit dès la maternelle. Il y a deux ans, on avait fait des biscuits de Noël et la maîtresse de ma fille n’avait pas pu les accepter, elle lui avait dit que c’était interdit d’une manière assez virulente, ma fille n’avait pas compris et en avait pleuré. Je me suis rendu compte qu’aucun partage culturel n’est possible. Et j’ai peur qu’elle se retrouve dans un « moule ». Malgré tout, j’espère qu’avec l’éducation que Shota et moi donnons à nos filles, elles auront l’esprit ouvert.

Un autre aspect négatif est la place de la femme au Japon.
La majorité des femmes japonaises sont très discrètes et ne donnent pas leurs opinions.
Je n’ai pas encore rencontré un groupe de féministes japonaises, qui se revendique. Mais j’aimerais beaucoup !
En Suisse, les choses bougent, les gens manifestent, se sont des sujets d’actualités, mais le Japon est assez en « retard » de ce côté là.

L’idéal pour nous serait de pouvoir retourner en Suisse pour ouvrir une guesthouse dans quelques années tout en gardant celle-ci à Tokoname et de faire la navette entre le Japon et la Suisse, de façon à ce que nos filles soient imprégnées de cette double culture… Tout va dépendre de l’évolution de cette crise sanitaire.

As-tu des regrets et quel bilan tires-tu de cette aventure au Japon ?

Quand on est arrivé au Japon en 2018, on est venu avec peu d’affaires. Je ne me projetais pas du tout sur notre avenir. J’étais juste concentrée sur mon bébé qui n’avait que quelques mois, c’était aussi une façon de me protéger.

J’avais toujours eu l’habitude de tout programmer mais avec l’arrivée surprise de notre première fille, j’ai arrêté de tout planifier. Mon mari est très positif et prend les choses comme elles viennent, et c’est très plaisant.

Je n’ai aucun regret car c’est une chance incroyable de vivre cette aventure au Japon. C’est une superbe expérience et je suis heureuse que nos filles la vivent avec nous.

Et pour finir, quels sont les endroits que tu préfères au Japon et notamment dans ta région ?

En trois ans, on n’a pas eu l’occasion de beaucoup voyager.

Je souhaiterais aller à Hokkaido et visiter les îles qui composent Okinawa.

Sinon j’aime beaucoup Kyoto, c’est une ville où on peut se déplacer à vélo, il y a de nombreux temples ou sanctuaires à visiter.

J’adore aussi Naoshima, une très belle petite île de la préfecture de Kagawa. J’aime bien ce concept d’îles où l’on peut trouver plein de musées.

Plus au Sud de Tokoname, à deux heures de chez nous en voiture, on aime bien se rendre à Irago vers l’océan où Shota fait du surf, c’est plus sauvage que les plages japonaises habituelles. C’est l’une des plus belles plages que j’ai vu et l’ambiance est très sympa avec tous ces surfeurs.

Et bien sûr je conseille à tous les visiteurs de venir visiter Tokoname ! On se situe à deux arrêts de l’aéroport de Nagoya, et il faut compter trente minutes de train du centre-ville de Nagoya. C’est donc très facile de nous rendre visite !

Merci Elisa pour cet échange passionnant ! A bientôt à Tokoname !

Vous pouvez retrouver Elisa et la Yomogi Guesthouse sur internet et les réseaux sociaux :

Instagram Yomogi Guesthouse : yomogi_guesthouse_tokoname

Instagram Elisa : tramontana_elisa

Facebook : https://www.facebook.com/YOMOGI-GUESTHOUSE-100880768185602/

Booking : https://www.booking.com/hotel/jp/yomogi-guesthouse.fr.html?aid=1258470&dest_id=-246176&dest_type=city&group_adults=2&group_children=0&label=Share-1SmLd4%401619055352&no_rooms=1

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