Depuis 2008, Nicolas vit dans la petite ville de Tottori située dans la région du Chugoku, entouré de plages et de montagnes. Dans ce témoignage, ce Français qui a pris la nationalité japonaise il y a deux ans, se livre sur sa vie, ses réussites mais aussi ses mésaventures rencontrées dans son pays d’adoption.
Nicolas, peux-tu te présenter et nous raconter ton premier contact avec le Japon ?
Je m’appelle Nicolas Verhoeven, j’ai 37 ans, je suis né à Lille et j’ai grandi dans un petit village du Loiret.
Après une prépa à Toulouse, j’ai fait une école d’ingénieur dans le secteur de l’agroalimentaire à Dijon.
En deuxième année, je devais faire un stage à l’étranger de cinq mois ; c’était l’occasion pour moi de partir dans un pays très éloigné ! C’est un peu par hasard que j’ai choisi de me rendre au Japon.
Mon école d’ingénieur était en relation avec l’Université de Tottori, je m’y suis donc rendu en 2006 accompagné de deux autres élèves de l’école.
J’étais très surpris en arrivant car on était très loin de l’image « tokyoiite » que je me faisais du Japon ! Dès que l’on sort de l’Université de Tottori, on se retrouve en pleine campagne…
C’était une bonne surprise de mon point de vue : j’ai grandi dans une petite bourgade entourée de nature et je n’aime pas trop les grandes villes ; j’ai notamment une aversion pour le métro qui est un endroit rempli de gens qui sont finalement tous seuls car ils ne se parlent pas et n’ont aucun contact les uns avec les autres !
J’ai senti que la vie à Tottori devait être agréable mais à aucun moment, je me suis dit que je reviendrai y vivre !
Qu’as-tu fais à la fin de ton stage ?
Après ces cinq mois de stage, je suis rentré en France et j’ai commencé à travailler en tant qu’ingénieur agroalimentaire, mais l’ambiance de travail ne me plaisait pas.
J’étais resté en contact avec le professeur qui s’occupait de moi pendant mon stage à Tottori, et il me proposa de continuer ma recherche dans le cadre d’un doctorat sur un sujet bien spécifique : la désydratation de cristaux de sucre.
J’étais très intéressé par cette proposition mais il me fallait une bourse…
Il faut savoir que l’ambassade du Japon en France propose tous les ans des bourses pour effectuer des masters ou des doctorats au Japon. J’ai donc tenté ma chance ! J’ai postulé à cette bourse comme s’il s’agissait d’un concours, seules vingt personnes étant admises.
Je ne venais pas d’une grande école d’ingénieur comme certains postulants qui sortaient de Polytechnique ou de Centrale… mais j’avais effectué mon stage au Japon et j’avais déjà trouvé mon professeur, des facteurs qui ont été décisifs pour pouvoir obtenir cette bourse d’un montant de 1500 euros par mois, une somme bien suffisante pour vivre correctement à Tottori.
Comment s’est déroulé ton doctorat ?
Mon doctorat a duré quatre ans de 2008 à 2012.
On m’avait prévenu que les cadences de travail dans le cadre d’un doctorat étaient infernales au Japon.
Mais dès le début, je m’étais mis d’accord avec mon professeur sur mon rythme de travail. Ainsi, j’ai pu gérer mon temps de manière à pouvoir faire de nombreuses activités, comme par exemple intégrer l’équipe de football de l’Université.
C’était important pour moi d’avoir une vie en dehors des études. Et globalement, je pense que l’on ne peut pas être productif en travaillant plus de sept heures d’affilée.
De nombreux étudiants restaient tard le soir et venaient même le week-end !
On ne m’a rien imposé et je dois reconnaître que j’ai aussi eu de la chance par rapport au sujet que j’ai traité.
J’ai travaillé sur la déshydratation de cristaux de sucre ou de sel en utilisant l’éthanol, dans un laboratoire spécialisé dans tous les procédés de déshydratation… Et j’ai eu de bons résultats rapidement. J’avais quasiment fini le contenu de ma thèse dès les six premiers mois !
Du coup, je me suis retrouvé très vite à pratiquer des activités externes comme le football ou à apprendre le japonais plutôt que de travailler au laboratoire !
Je me suis aussi consacré à chercher un travail à Tottori.
De quelle manière as-tu appris à parler japonais ?
Pendant mon stage, je n’avais pas appris le japonais car je n’en avais pas eu besoin ; la langue principalement utilisée étant l’anglais.
Mais en sachant que j’allais rester au moins quatre ans au Japon pour mon doctorat, je m’étais dit qu’il fallait que j’apprenne la langue.
Avec la bourse que j’avais obtenue, j’avais de toute façon l’obligation de suivre des cours de japonais intensifs les six premiers mois. Ainsi, au bout de quatre mois, j’étais passé d’un niveau zéro au niveau 3 en JLPT !
Ces cours m’ont permis d’apprendre les bases mais ils n’étaient pas suffisants pour comprendre tout ce qui se disait autour de moi et comme j’avais un peu de temps au laboratoire, j’avais pris un abonnement payant d’un an sur un site d’apprentissage en ligne JapanesePod101 qui proposait des leçons en audio et vidéo et des supports au format pdf… En apprenant la langue une heure par jour avec ce site pendant un an, j’ai pu atteindre le niveau JLPT2.
A la fin de mon doctorat, je parlais suffisamment bien japonais pour comprendre et tenir une conversation, même si mon japonais n’était pas parfait ; cela m’a beaucoup aidé pour chercher du travail par la suite.
Où as-tu travaillé après ton doctorat ?
A la fin de ce type de doctorat, on est expert dans un domaine bien spécifique. Et il se trouve qu’il n’y a qu’une cinquantaine de personnes dans le monde qui a travaillé sur ce sujet !
Je voulais faire de la recherche fondamentale mais malheureusement les grandes entreprises pour lesquelles je postulais ne me proposaient que des emplois d’ingénieur commercial et souhaitaient mettre en avant mon « profil » d’étranger.
Pour me laisser le temps de trouver un emploi qui m’intéressait, j’avais finalement accepté un poste de professeur d’anglais qu’une enseignante que je connaissais et qui travaillait à l’Université de Tottori m’avait proposé.
J’ai donc enseigné l’anglais auprès d’étudiants de 18-20 ans pendant cinq ans jusqu’en 2017.
Le conseil que je donnerai aux francophones qui souhaiteraient venir enseigner au Japon, c’est de s’orienter vers un enseignement de la langue anglaise plutôt que de la langue française.
Quand tu enseignes le français au Japon, les cours sont généralement donnés en japonais. Pour les cours d’anglais, on ne parle souvent qu’en anglais et c’est aussi beaucoup plus facile de trouver du travail en tant que professeur d’anglais.
Ce poste était extrêmement bien rémunéré, j’étais payé 10 000 yens par classe (il y avait des mois où je gagnais 600 000 yens). Le point négatif c’est que l’Université était fermée quatre mois par an.
Je gagnais bien ma vie mais c’était une situation instable car le programme et le temps d’enseignement au sein de l’Université pouvaient changer d’une année sur l’autre…
J’enseignais aussi l’anglais « business » à Fujitsu, une entreprise qui fabrique des piles au lithium. Au bout de quelques années, grâce à mon master et aux liens que j’avais tissés dans cette entreprise, on m’a finalement proposé un poste créé pour moi d’ingénieur de développement de batteries au lithium.

Trouver un emploi de ce type à Tottori était une opportunité que je ne pouvais pas refuser !
As-tu déjà eu l’envie de déménager dans une autre région ?
Non, car je me sens chez moi à Tottori, j’ai mes repères. Ma vie est ici, j’adore cette région composée de nature et de plages… !
Je me sens bien intégré du fait que je parle la langue, et la vie à Tottori est très agréable. Il n’y a pas de stress, je peux partir de chez moi sans fermer la porte de mon domicile à clé et avoir l’esprit tranquille !
Aujourd’hui, dès que je me balade dans la ville, j’attire les regards, les gens sont curieux, mais ce n’est que du positif car le contact se fait très facilement.

Et d’un point de vue plus général, je me sens comme si j’avais toujours vécu ici. C’est aussi pour cela que j’ai décidé il y a deux ans de prendre la nationalité japonaise !
Peux-tu nous en dire plus sur ta nationalité japonaise ?
Après autant d’années passées au Japon, mise à part avec ma famille, je n’avais plus de lien avec la France.
Je me sens Français d’origine par la culture mais je trouvais cela plus logique et plus naturel de devenir Japonais.
Et au final, c’est très facile de prendre la nationalité japonaise bien plus que de demander un visa permanent !
Il faut avoir vécu cinq ans au Japon, avoir un niveau moyen de japonais (savoir parler comme un enfant de six ans, ce qui ne veut rien dire !) et le critère le plus important au niveau de l’administration, c’est de pouvoir subvenir à ses besoins. Tu peux aussi choisir n’importe quel nom et prénom. J’ai gardé mon nom mais écrit en katakana.
Par contre, le désavantage, c’est qu’en voyageant hors du Japon avec un passeport japonais notamment lors de voyages d’affaires, j’ai dû plus d’une fois justifier de mon identité !
Où en es-tu dans ta vie personnelle ?
Ma vie personnelle est un peu mouvementée.
Je me suis mariée il y a quelques années avec une Japonaise, mais nous avons divorcé. Et nous avons eu une fille qui a trois ans que je ne vois pratiquement jamais…
J’ai beaucoup suivi l’histoire de Vincent Fichot, qui a fait une grève de la faim pendant les Jeux Olympiques pour alerter sur sa situation et celle d’autres parents victimes d’enlèvement d’enfants par leur conjoint au Japon.
De mon côté, quand j’ai demandé le divorce, j’ai fait un contrat avec la mère de ma fille pour m’assurer de pouvoir la voir au moins une fois par mois et et de pouvoir la contacter sur Skype une fois par semaine mais cela ne s’est pas vraiment passé comme prévu.
Au début, j’allais souvent la voir mais quand mon ancienne épouse a su que je fréquentais une autre femme, elle a coupé les ponts et je n’ai pas pu voir ma fille pendant un an.
J’ai pu la revoir pour ses trois ans au mois d’avril et une fois seul avec elle cet été, mais la situation est complexe. Et même si ma femme ne respecte pas le contrat que nous avions signé et que je suis officiellement Japonais, je ne peux rien faire : si on va au tribunal, on va se ruiner tous les deux en frais de justice, et je ne sais même pas si j’aurai gain de cause !
J’ai constaté avec les histoires vécues par d’autres pères et mères, que le « passage en force » (police, tribunal…) est très mal vu au Japon et cela se retourne souvent contre l’initiateur de ces procédures.
Au Japon, malheureusement, en cas de séparation, il y a un seul garant officiel, c’est celui qui a l’enfant sous son toit ! Et c’est toute la différence avec la France notamment.
J’estime avoir de la chance que le lien avec ma fille ne soit pas rompu, qu’elle me reconnaisse et qu’elle m’appelle encore Papa.

Je suis assez optimiste sur ma relation future avec ma fille ; je pense que lorsqu’elle sera plus grande, il sera plus facile de la voir.
Sinon il y a un autre aspect négatif de ma vie au Japon : les relations de couple. Je ressens une vraie différence culturelle avec les femmes Japonaises que je fréquente.
Je pensais que j’allais m’adapter mais les relations que j’ai avec les femmes ici ne sont pas très saines, souvent basées sur l’argent que je gagne, avec une pression pour un mariage précoce et des relations extra-conjugales qui sont normalisées. Ce n’est pas ma vision de l’amour…
Le fait de vivre dans une petite ville n’aide pas non plus à faire des rencontres différentes. Mais je ne perds pas espoir !
Est-ce que la France te manque parfois ?
Je n’ai aucun regret d’avoir quitté la France pour le Japon mais certaines choses me manquent comme la nourriture française : le bon pain, le fromage… Il manque d’ailleurs une très bonne boulangerie française à Tottori !
C’est surtout le contact avec les Français qui me manque… Et je suis d’ailleurs très content d’avoir fait la connaissance de Farid que tu as interviewé récemment et qui habite près de chez moi.
Il y a aussi un autre Français qui n’habite pas très loin dans la préfecture d’à côté. Je les considère comme de vrais amis.
Je n’ai que quelques amis Japonais et je ne peux pas discuter de la même manière avec eux, ni avoir de vrais débats comme avec mes amis Français.
Pour finir, quels sont tes endroits préférés à Tottori ?
Les plages ! Ma maison est au bord de la mer et c’est pour cette raison que je l’ai choisie ; j’ai une petite plage « privée » où personne ne vient et c’est un petit coin de paradis :

Nous avons beaucoup d’endroits aussi pour faire de la randonnée notamment au Mont Daisen.
Quand les frontières rouvriront, je serai ravi d’accueillir des touristes francophones chez moi et de leur faire découvrir la région !
Et sinon en dehors de ma région, j’aime bien aller à Beppu située sur l’île de Kyushu, et profiter de ses onsens à ciel ouvert.
Merci Nicolas pour cet entretien passionnant ! A bientôt à Tottori !

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Interviews à la TV Japonaise :