Installé depuis 2011 à Nagoya avec son épouse et ses enfants, Nicolas est boulanger-pâtissier dans sa boutique « Le Plaisir du Pain ». A travers son témoignage, cet artisan qui défend un savoir-faire authentique et des produits français de qualité, se confie sans langue de bois sur sa vie au pays du Soleil Levant.
Nicolas, peux-tu te présenter et nous parler de ton parcours ?
Je m’appelle Nicolas Venon, j’ai 42 ans et je suis né en Eure-et-Loir à la limite de la Normandie.
A 16 ans, je me suis orienté vers un lycée professionnel de boulangerie-pâtisserie, et j’en suis sorti trois ans après avec un double diplôme -boulangerie et pâtisserie-.
Par la suite, je suis parti trois années en Angleterre où j’ai partagé un appartement avec plusieurs pâtissiers. Mes amis Français avaient fait la connaissance d’un groupe de Japonaises, et c’est de cette manière que j’ai eu mon premier « contact » avec le Japon !
En 2003, j’ai commencé à travailler pour la Maison Kayser. J’y suis resté trois ans dont un an à Hokkaido au Japon.
Je suis rentré en France avec l’envie de m’installer en tant que boulanger-pâtissier sur Paris, mais les banques françaises étaient très frileuses.
Et en 2011, avec ma femme originaire du Japon -que j’avais rencontré à Paris quelques années auparavant-, nous avons finalement quitté la France pour nous installer au Japon.
Pourquoi avoir finalement décidé de vous installer au Japon ?
Nous souhaitions que notre premier enfant qui était né en France soit éduqué au Japon.
Et dans le même temps, j’ai eu l’opportunité d’acquérir une boulangerie à Nagoya.
Pendant nos vacances au Japon, j’avais l’habitude d’aller dans une boulangerie tenue par un Français qui faisait sa pâte au levain.
Un jour, il m’a informé qu’il avait l’intention de fermer sa boutique. Après réflexion, nous avons décidé avec ma femme de racheter sa boulangerie. C’était une opportunité qu’il fallait saisir !
Il n’y avait pas trop de travaux à faire et je pouvais être propriétaire de ma propre boulangerie-pâtisserie, alors que j’étais simple salarié en France.
Trois mois après, le temps de faire les papiers, nous débarquions au Japon et j’ouvrais ma boutique dans la foulée !
Comment s’est passé le rachat de la boulangerie ?
On a juste fait appel à un comptable… Mais je ne suis pas propriétaire des lieux, je suis seulement acquéreur de l’entreprise avec tout le matériel. Je ne peux être que locataire, l’immeuble coûte beaucoup trop cher !
Sinon, on a aussi décidé de changer le nom de la boulangerie qui s’appelle aujourd’hui « Le Plaisir du Pain » pour amener un renouveau et une rupture avec l’ancienne boutique.
Quelle est la différence entre la clientèle japonaise et la clientèle française ?
La clientèle au Japon n’est pas la même qu’en France. En France, on achète son pain frais tous les jours. Une boulangerie française moyenne tourne avec 200-300 clients par jour.
Au Japon, les clients Japonais viennent une fois par semaine ou une fois par mois acheter du pain et le congeler.
Comment fais-tu pour anticiper la quantité de produits que tu dois fabriquer dans ce cas-là ?
C’est un vrai casse-tête ! Avec l’expérience, maintenant je peux anticiper par période.
Par exemple, à Nagoya, c’est le début de la saison des pluies à partir du mois de juin, et on a une chute de la consommation de pain jusqu’à mi-octobre.
Au niveau alimentation, on mange plus de udon (nouilles froides) et moins de plats en sauce.
As-tu quand même des clients Français ?
Avec la pandémie du Covid-19, la plupart des étrangers sont rentrés chez eux. Enfin… on les a surtout « poussés dehors » ! Car de nombreux programmes internationaux ont été annulés, et malheureusement les premiers emplois qui ont été supprimés -notamment dans la restauration- étaient les baitos occupés par des étrangers !
Avant la crise sanitaire, j’avais environ 5% d’étrangers comme clients, ce qui n’était pas mal car nous ne sommes que 500 français dans la région de Nagoya.
Aujourd’hui, je dois avoir un ou deux clients français par jour…
Et je suppose que tu as eu une baisse d’activité à cause de la pandémie…
Au Japon, il y a eu plusieurs étapes.
Les restaurants ont d’abord fermés au début de la pandémie, puis le gouvernement a incité les entreprises à mettre en place le télétravail. Ce qui a augmenté l’activité des traiteurs. Puis les restaurants ont pu faire de la vente à emporter à partir de l’été 2020.
C’est à ce moment-là que j’ai eu une baisse de mes ventes mais j’ai profité de cette période pour m’adapter.
Il y a quelques années, on avait déjà lancé un site internet avec de la vente en ligne qui n’avait pas fonctionné… Et depuis le début de l’année, on a relancé notre site internet où l’on propose des coffrets comprenant plusieurs pains qui se vendent très bien !
Au Japon, on est arrivé à un boom de l’internet, et un changement dans la façon de consommer.
Justement, j’ai vu sur ta page Facebook que tu proposais à tes clients d’utiliser une nouvelle application pour faciliter la vente de pain… Peux-tu nous en dire plus ?
Je suis l’un des premiers à utiliser l’application « Sacri » sur Nagoya. Elle permet aux clients de commander les produits 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24 et de les retirer le jour désiré.
Vu que c’est moi qui indique la quantité des produits proposés, je peux gérer mon stock plus facilement. Dès qu’un client commande un produit, je reçois un SMS et je n’ai plus qu’à préparer la commande que le client viendra chercher.
Quelle est la particularité de ta boulangerie par rapport à tes concurrents ?
Je fais de la vraie boulangerie-pâtisserie française ! Je ne propose pas de produit japonais. Même pas les Melon Pan !
Tout est fait maison et fabriqué sur place, je n’ai pas un seul produit industriel.
Et toutes les matières premières que j’utilise comme le beurre, le chocolat, les purées de fruits, sont françaises ou belges. J’essaie aussi au maximum d’utiliser des produits bio.
Je ne suis pas le seul : nous sommes quelques boulangers-pâtissiers français dans la région qui portons nos produits.




Du coup, as-tu des difficultés pour trouver les matières premières dont tu as besoin au Japon ?
Non car le Japon importe quasiment toutes les matières premières et il y a énormément de choix, bien plus qu’en France finalement !
Il faut juste que j’ajuste mes recettes en fonction des produits que je trouve ici qui peuvent être légèrement différents de ceux que j’avais l’habitude d’utiliser en France.
Quel est ton produit qui a le plus de succès ?
Ma plus grosse vente, ce sont les croissants !


Et en pâtisserie, cela dépend des saisons… Les galettes commencent à avoir beaucoup de succès au Japon.
La première année, j’en avais vendu une dizaine… et cette année, j’en ai vendu 400 !
Il y a un boom au niveau des galettes mais aussi des fèves… D’ailleurs, les fèves que je propose dans mes galettes sont en porcelaine faites à la main à Tokyo.
Fais-tu un peu de publicité pour te faire connaître ?
J’en fais de temps en temps. Il m’arrive d’apparaitre dans les journaux et faire des émissions de télévision pour promouvoir la boutique.

Mais il y a plus d’impact en passant par Instagram !
Combien as-tu d’employés ?
J’ai quatre boulangers, quatre pâtissiers, un traiteur et six vendeuses à mi-temps répartis sur deux boutiques.
Je collabore aussi avec une autre boutique qui propose mes produits à la vente.
Tu es propriétaire de deux boutiques… Est-ce que l’on peut dire que ton activité marche bien ?
Oui mon activité marche bien mais je ne me verse pas un gros salaire comparé au travail que je fourni et au temps que j’y consacre.
Les horaires de mes boutiques sont adaptés à la vie des Japonais : 9h30-18h30 mais je passe beaucoup de temps à former mes employés. Je suis très exigeant et je ne veux surtout pas qu’il y ait une différence de goût entre mes deux boutiques ! Elles doivent proposer exactement les mêmes produits avec les mêmes saveurs…
Il y a quelques semaines, tu as envoyé un message à l’ambassade de France concernant leur façon de mettre en avant les produits français et les artisans français au Japon, peux-tu nous en dire plus ?
Je suis un râleur ! Mais à l’ambassade de France, ils peuvent faire les choses facilement, il faut juste de la volonté.
Au lieu de saturer ma boîte mail de messages concernant la campagne électorale pour élire nos représentants au Japon, et de communiquer avec des photos d’entreprises françaises qui sont basées en France, je préférerais qu’ils contactent directement les entrepreneurs français du Japon !
Il serait facile que nous communiquions ensemble pour valoriser notre savoir-faire et développer notre culture.
L’instagram de l’ambassade de France est en japonais dirigé pour les Japonais donc pourquoi ne pas mettre en avant les artisans français du Japon pour leur faire d’abord découvrir nos produits sur place afin de donner envie aux Japonais d’aller en France ?
Cela fait dix ans que je suis au Japon, je n’ai jamais été contacté… Et d’ailleurs, je n’ai eu aucune réponse de leur part concernant mon message.
As-tu le temps de profiter de ta famille ?
Je travaille beaucoup et je rentre tard donc c’est difficile.
D’autant plus que nous avons maintenant quatre enfants : une fille de 7 ans et trois fils de 4, 9 et 11 ans !
Depuis le début de l’année, je travaille un jour de moins par semaine. Je suis passé à cinq jours sur sept pour avoir plus de temps pour ma famille mais aussi pour moi. Travailler six jours sur sept pendant dix ans, c’est usant.
Tes enfants parlent-ils français ?
Avec mon activité, mes enfants me voient peu et je ne parle pas avec eux autant que je voudrais.
Mon fils de 11 ans et ma fille de 7 ans comprennent le français mais ne le parlent pas et mon fils de 9 ans ne comprends pas du tout le français.
Et au niveau des écoles, c’est difficile car il n’y a pas d’école française dans la région. Il y a une école internationale où l’on parle anglais mais c’est très cher…
Où as-tu appris à parler japonais ?
Je n’ai jamais pris de cours de japonais, j’ai appris sur le tas à force de pratiquer.
Mais à la maison, avec ma femme on parle surtout français ou un mix entre le français et le japonais.
As-tu rencontré des difficultés pour t’intégrer en tant que Français ?
Comme je dis souvent : je suis intégré mais pas assimilé !
Je suis surtout venu au Japon pour ma femme… Et je tiens à ma culture française.
A la maison, on ne mange presque que français. Ma femme a appris la cuisine française pendant les six années où elle a vécu en France !
Et je connais très peu le Japon, les Français qui viennent en PVT connaissent mieux le Japon que moi !
Par contre, ces derniers temps, je prends un peu plus de temps pour moi et je fais de grandes balades en moto dans la région, accompagné par des amis…. Français car je n’ai pas d’amis Japonais.
J’ai une mentalité très française et j’ai dû mal à accrocher avec la mentalité des Japonais. Le fait qu’ils ne veuillent pas contrarier, il n’y a pas d’argumentation possible. Les discussions profondes sont difficiles.
As-tu parfois le mal du pays et souhaiterais-tu revenir vivre en France ?
Tous les Français le disent : on ressent le mal du pays les premières années.
Il y a des choses qui me manquent mais je ne me vois pas revenir en France.
Il faut reconnaître qu’il y a quand même des points positifs à vivre au Japon : en dix ans, j’ai eu un seul cambriolage et aucun problème de caisse. Je peux laisser la boulangerie ouverte sans problème.
Je peux laisser ma moto avec mon téléphone et les clés dessus sans que personne n’y touche… c’est inconcevable en France !
C’est une question de confort de vie.
Mais attention : la vie n’est pas facile ici. Dans la vie quotidienne, au travail, pour se faire des amis… cela peut être compliqué.
Quels conseils donnerais-tu à des Français qui veulent s’installer au Japon et notamment à Nagoya ?
Il ne faut pas qu’ils pensent qu’ils sont les bienvenus ! On nous accueille les bras ouverts en vacances mais pas forcément pour travailler.
Après, il n’y a pas un Japon mais « des Japons »… Je ne connais pas Tokyo, mais Hokkaido par exemple, c’est complètement différent de Nagoya qui peut correspondre au 16ème arrondissement de Paris au niveau de la mentalité !
Ici, c’est la petite bourgeoisie, tout le monde roule dans de belles voitures, il y a énormément de Ferrari et de Lamborghini.
De mon côté, je suis entrepreneur, je me débrouille tout seul mais on me mets quand même des « bâtons dans les roues ».
De quelle manière ?
Le plus important au Japon, c’est le réseau. Plus on a un réseau important, et plus on s’en sort.
En tant qu’étranger, il y a des lieux au Japon où je ne peux pas rentrer.
Il y a certains événements, où l’on m’a dit que je ne serais pas capable de produire assez sans même me demander quelle quantité je pouvais produire !
Ce n’est pas parce que je suis Français et que l’on nous dit que la boulangerie française est la meilleure du monde (ce n’est pas forcément vrai pour tout le monde), que l’on va nous accepter facilement.
Tes concurrents Japonais voient peut-être d’un mauvais oeil un boulanger Français installé dans la région ?
Oui bien sûr. Il y a vingt ans, c’était très différent, mais aujourd’hui les boulangers Japonais vont se former en France et font de très bons produits, de très bonnes galettes notamment.
Mais voir un boulanger français s’installer dans leur secteur, ce n’est pas forcément bon pour eux.
As-tu ressenti de la discrimination ?
Tout à fait. J’ai l’expérience d’une demande de prêt pour ma maison faite à mon nom auprès d’une banque à Nagoya, qui avait été dans un premier temps accordée puis ensuite refusée par le responsable… alors qu’avec mon salaire, la demande de prêt aurait dû être acceptée sans problème.
Ils ont eu l’honnêteté de me dire que c’était le fait que je sois un étranger qui ne passait pas ! C’est malheureusement arrivé aussi à des amis Français.
J’ai un autre exemple : je lis les hiraganas, les katakanas et certains kanjis mais je ne les connais pas tous… et un jour, j’ai voulu demandé une carte de fidélité à un magasin, je leur ai dit que c’est ma femme qui remplirait le document à la maison car je ne comprenais pas tout et ils ont refusé. Ils m’ont dit que si je n’arrivais pas à le remplir sur place, je n’y avais pas droit !
Et des exemples comme celui-ci, il y en a beaucoup…
Quel bilan fais-tu de tes dix années passées au Japon ?
Si j’avais la possibilité de revenir en arrière, je ne sais pas si je recommencerai ! C’est beaucoup d’investissement, je travaille énormément.
Et il y a une autre raison : l’avantage en France, c’est que le prix d’une boutique évolue. Pas au Japon. Ici, ma boutique ne vaut rien. Je ne peux pas la vendre.
Je me suis renseigné auprès d’un vendeur et aujourd’hui, si je souhaitais vendre mon entreprise, elle vaudrait 20% de sa valeur, je serais obligé de donner toutes mes recettes et je devrais rester six mois avec le nouveau propriétaire pour le former !
C’est beaucoup de travail pour ne rien avoir au final.
Quels sont tes projets ?
J’ai envie de profiter de la vie, de mes enfants et avoir du temps pour faire de la moto !…
Donc le projet c’est de pouvoir développer mon activité sur internet pour pouvoir gagner du temps et un jour sortir de Nagoya et m’installer à la campagne.
Je souhaiterais aussi évoluer vers un nouveau concept de pain « Respectus Panis » qui se développe beaucoup en France. Faire du pain à l’ancienne plus sain, produit avec très peu de levure et une fermentation longue de 14 ou 16h… Je fais beaucoup d’essais en ce moment.

Malheureusement, sur le bio et le naturel, le Japon est très en retard… notamment à cause du fait que les émissions de télévision au Japon soient subventionnées par les entreprises qui sont souvent de grands groupes industriels. Je suis allé dans plusieurs émissions de télévision et à chaque fois que je parlais de produits naturels sans additif et de farine bio, j’étais coupé !
Je souhaiterais aussi développer des partenariats avec des grands magasins sur du pain congelé (fait maison puis congelé). Je vais d’ailleurs travailler avec un grand magasin pour Noël cette année.
Peux-tu nous dire en quoi consiste ton rôle d’îlotier ?
Peu de gens connaissent mais je pense que c’est très utile d’être informé à ce sujet.
Je suis îlotier dans ma région,
C est un statut de bénévole auprès de l’ambassade de France. En fonction des régions, on est plus ou moins nombreux.
Nous sommes en contact direct avec l’ambassade en cas de crise majeure sur le terrain (catastrophes naturelles ou autres) et nous avons les coordonnées des français vivants dans notre région.
L’administration met beaucoup de temps à bouger. Étant résident et connaissant notre secteur, il est plus facile d’être le relais de l’ambassade afin de pouvoir communiquer et relayer les informations.
Il est vraiment nécessaire de sensibiliser les français résidant plus de trois mois à bien s’inscrire à l’ambassade et mettre leurs coordonnées à jour, un tremblement de terre ou un typhon peut arriver à tout moment.
Et dernière question : quels sont tes endroits préférés au Japon et plus particulièrement dans la région de Nagoya ?
Je n’ai pas beaucoup voyagé au Japon. J’adore surtout la campagne et les montagnes.
J’aime aller en moto dans les montagnes à l’est d’Aichi au dessus d’Hamamatsu entre le Mont Fuji et Nagoya, seul ou avec mes amis Français.
Je recherche le calme et la sérénité.



Et j’ai fait ma dernière sortie moto vers Ena, dans le sud-est de la préfecture de Gifu où l’on trouve des paysages magnifiques :

Merci Nicolas pour ton témoignage. A bientôt à Nagoya !

Vous pouvez suivre Nicolas et sa boulangerie « Le Plaisir du Pain » sur internet et les réseaux sociaux :
Site internet : Le Plaisir du Pain
Facebook : Le Plaisir du Pain
Nicolas : Nicolas Venon
Instagram : https://www.instagram.com/le_plaisir_du_pain/
https://www.instagram.com/patinico1979/
Mis à jour le 28 septembre 2022 – A lire un article plus récent sur l’actualité de Nicolas : https://gaikokujinstories.fr/2022/08/20/une-nouvelle-boutique-pour-nicolas-boulanger-patissier-a-nagoya/
merci , merci Nicolas pour ce formidable reportage . J’ai beaucoup appris sur ta vie et bravo pour ta famille que j’embrasse très fort . Espérant vous voir un jour . GUY
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