A la rencontre de Nahed, auteure du blog « Healthy Japan : ma vie à Asakura »

Nahed, originaire de Tunisie, a entamé il y a plus de trois ans un exode qui l’a mené jusqu’au Japon, sa terre d’accueil. Elle vit aujourd’hui dans la ville d’Asakura, située dans la préfecture de Fukuoka sur l’Ile de Kyushu. A travers son blog « Healthy Japan : ma vie à Asakura » et son travail sur place, elle souhaite faire découvrir cette région peu connue des voyageurs étrangers et partager la culture et la vie quotidienne des Japonais.

Nahed, peux-tu te présenter et nous parler de ton parcours ?

Je m’appelle Nahed Belkhiria, j’ai 32 ans et je suis originaire de Tunisie.

J’ai fais mes études en Tunisie, j’ai notamment étudié la littérature française contemporaine à l’université. Après mon master recherche, je suis partie six mois au Qatar puis un an en Turquie.

J’ai passé beaucoup de temps à voyager, en France, aux États-Unis ainsi qu’en Corée du Sud, avant de déménager il y a trois ans au Japon.

Personnellement, je n’imaginais pas ma vie de cette façon : j’avais bien réussi mes études et commencé ma vie active en Tunisie en tant que professeure de français, puis journaliste francophone, et rédactrice web pour le compte d’une société française qui élabore des sites web pour les PME en France…

Mais entre chaque changement de travail, j’en profitais pour voyager toujours plus loin ! J’avais besoin de laisser mon passé derrière moi et me reconstruire ailleurs…

Comment t’es venue l’envie de partir au Japon ?

En 2018, je me suis dit qu’il fallait que je fasse un voyage assez loin pour ne plus me retourner !

Après être restée sept mois en Corée du Sud, où j’ai vécu une expérience assez décevante, j’ai décidé de tenter l’aventure au Japon

A l’origine, ce pays est une passion dans ma famille, mon père a d’ailleurs passé son bac en choisissant le Japon comme sujet de géographie !

De mon côté, comme de nombreuses personnes de mon âge, j’aime beaucoup les animes et les mangas. L’un de mes animes préférés est Saiyuki qui est mon porte-bonheur, j’amène le DVD avec moi partout où je vais depuis 2003 !

Qu’est-ce qui t’a déplu en Corée du Sud ?

Je pense avoir eu raison de quitter ce pays pour le Japon… je regrette même d’avoir passé autant de temps là-bas !

Ce n’est pas un pays très ouvert, il y a beaucoup de racisme mais ce qui m’a choqué encore plus, c’est le sexisme et la différence de traitement entre les femmes et les hommes. Même dans les lois, les femmes ne sont pas protégées. Les crimes contre les femmes sont traités avec légèreté et sont très peu punis.

En trois ans passés au Japon, je n’ai jamais ressenti ce que j’avais pu ressentir en Corée du Sud.

Et comment s’est passée ton arrivée au Japon ?

Je suis donc arrivée au Japon en 2019 et deux jours après, je louais déjà mon premier appartement !

J’ai certainement eu un peu de chance pour trouver une location aussi vite, mais je m’étais bien renseignée en amont et j’avais de précieux contacts qui m’ont aidée sur place.

L’appartement était situé à Asaka dans la préfecture de Saitama, à vingt minutes en train du quartier d’Ikebukuro à Tokyo. J’y suis restée une année.

Heureusement, c’était un peu avant le début de la pandémie. J’ai pu en profiter pour étudier le japonais et visiter un peu les régions de Tokyo, de Kyoto, Nara et le Mont Fuji… puis juste après avoir obtenu ma carte de résidente, j’ai réussi à trouver un emploi dans une grande entreprise japonaise spécialisée dans l’édition de livres et de mangas. C’était un métier assez physique mais je m’y sentais bien, entourée de nombreux collègues étrangers, originaires principalement d’Asie, avec qui je m’entendais bien.

Tu es actuellement « coopératrice de revitalisation locale » à Asakura dans la préfecture de Fukuoka sur l’Ile de Kyushu dans le sud du Japon. En quoi consiste ton métier ?

J’ai été engagée par la société Discover Deep Japan qui a un contrat avec la mairie d’Asakura. C’est à l’origine, une initiative du gouvernement japonais qui souhaitait revitaliser les zones rurales, lesquelles se vident de leur population.

Il y a plusieurs équipes sur ce projet de revitalisation. De mon côté, je suis en équipe avec trois autres personnes afin de faciliter les relations entre les locaux et les étrangers mais aussi de promouvoir la ville auprès des futurs touristes.

Plusieurs raisons m’ont poussée à postuler à ce poste… il s’agit dans un premier temps d’un emploi qui fait appel à plusieurs types de compétences comme la possibilité de parler les différentes langues que je maitrise : le français, l’anglais et même l’arabe. Je trouvais aussi intéressant de découvrir un autre aspect du Japon comme le Japon rural. Et moi qui suis habituée à un climat chaud, celui de Kyushu me convenait très bien… Je ne me voyais pas du tout vivre à Hokkaido au nord de l’archipel par exemple !

En août 2020, j’ai donc déménagé à Asakura. Les premiers temps ont été durs car j’étais habituée à ma routine à Asaka où j’avais beaucoup plus de temps libre. Dans ce nouveau poste, j’ai dû m’adapter à un rythme complètement différent avec des horaires flexibles. C’est un travail très prenant avec énormément de marketing sur les réseaux sociaux, à devoir toujours chercher de nouvelles idées…

Aujourd’hui, j’ai trouvé mes repères… Et je prends plaisir à faire découvrir la ville d’Asakura mais aussi à partager la vie quotidienne des Japonais et leur culture, à travers mon blog Healthy Japan : ma vie à Asakura.

Cueillette du kaki, fruit emblématique de la région de Fukuoka

Tu as été embauchée en plein milieu de la crise sanitaire et les frontières japonaises sont actuellement toujours fermées aux touristes… De quelle manière réussis-tu à accomplir tes missions à Asakura ?

Au moment de m’engager pour ce poste, on était effectivement en pleine crise sanitaire mais c’est le gouvernement qui a financé ce programme et le contrat était déjà signé !

Au départ, nous pensions que la crise n’allait pas durer… et puis on a dû s’adapter, se diversifier et plus se concentrer sur les locaux.

Nous avons par exemple, collaboré avec de nombreuses écoles de la région pour promouvoir les cultures différentes, notamment en mettant en avant l’apprentissage de l’anglais.

Nous participons et organisons aussi de nombreux événements dans la ville.

Quel contact as-tu avec les habitants d’Asakura ?

Je trouve que les habitants d’Asakura sont beaucoup plus accueillants et chaleureux que dans les grandes villes. Pour mon travail, on va quotidiennement à leur rencontre, on a notre photo dans le journal local… Les gens sont habitués à me voir !

Repas pour étudiants au centre communautaire Himiko

Et quelles sont tes relations avec tes collègues de travail ?

Je travaille avec deux Japonaises, l’une a passé sept ans au Canada et un an aux États-Unis, et l’autre parle arabe car elle a vécu plusieurs années en Egypte et en Palestine ! J’ai un autre collègue qui vient de Hong Kong, il a visité plus de 50 pays et a étudié à Londres et Séoul… Ils sont tous très ouverts et il n’y a aucun sujet tabou entre nous.

Comment décrirais-tu « l’identité japonaise » ?

Ce que je retiens de ma vie au Japon, c’est que le travail est sacré mais le résultat de ce travail est encore plus sacré. Pour arriver à cette perfection, on dit que l’émotion est un élément perturbateur. Aujourd’hui, je souhaite profiter de mon blog pour parler plus de cet état d’esprit des Japonais.

C’est aussi important de comprendre que leur rapport à la nature est compliqué car ils ont subi beaucoup de catastrophes naturelles… Ils s’adaptent à cette nature hostile par nécessité car ils doivent sans arrêt tout reconstruire, et tous ces cataclysmes ont aussi forgé leur identité.

Toutefois, je pense qu’il serait nécessaire d’alléger les horaires de travail ainsi que ceux de l’école… pour permettre aux gens d’avoir plus de temps pour eux-mêmes.

Quel est ton bilan de ces trois années passées au Japon ?

C’est un pays qui m’a accueilli, qui est devenu mon refuge et qui m’a permis d’avoir de très belles opportunités.

J’ai aussi énormément appris, surtout sur le plan technique et manuel. J’ai appris à réparer les choses et à mieux m’organiser dans ma vie quotidienne…

Sur le plan humain, j’ai fais de belles rencontres. Mais l’amitié au Japon est compliquée. En Tunisie, après le travail, j’avais l’habitude de passer du temps avec mes amis, de boire un café et de trouver des personnes à qui me confier. Au Japon, c’est considéré comme enfantin d’exprimer ses sentiments ; il y a beaucoup de retenue.

Avec des amis au Parc Amagi

Malgré tout, le bilan est très positif, avec toutes ces belles expériences que je vis. J’aime la vie simple que j’ai à Asakura ; j’adore arpenter la campagne à vélo et si j’étais en couple, je pourrais envisager de m’y installer durablement. Pour une femme seule, le Japon est quand même le pays idéal, car très sécurisé.

Balade à vélo le long de la rivière Sada

Peux-tu nous en dire plus sur ton blog Healthy Japan : ma vie à Asakura ?

Avec ce blog, je voulais donner un aperçu de la vie dans la campagne japonaise, tout en considérant mon aventure comme un voyage thérapeutique… Se redécouvrir et jeter un regard différent sur soi et sur l’autre, à travers l’expérience d’un ailleurs aux normes uniques, « un dérèglement de tous les sens » comme l’écrivait Arthur Rimbaud… Quelque part, je m’identifie beaucoup à Rimbaud et à ses voyages incessants. La soif d’ailleurs peut être dévastatrice. Je ne suis pas encore au bout de mon aventure mais je peux confirmer que nulle part n’est la terre promise si le cœur et l’esprit sont en souffrance…

En partant de Tunisie il y a quatre ans, j’avais la rage. Je suis en train de trouver la paix. Beaucoup de gens viennent me parler de leur vie et se livrent à moi. Si un jour je quitte le Japon, j’aimerais étudier la psychologie pour partager mon expérience avec le plus grand nombre. Il me tient à cœur de réussir à trouver la paix pour retracer ce parcours… peut-être dans un livre, de manière à ce que mon expérience puisse aider les autres.

Tu as d’ailleurs déjà écrit un livre publié en 2015 intitulé « Je suis née en couleurs gaies »…

Oui, ce livre évoque la perte de repères et la reconstruction de soi. Des traumatismes d’enfance aux choix douteux d’adulte, en passant par les relations toxiques… Je me suis inspirée de mon entourage et de mon vécu pour l’écrire. Je voulais archiver toute une époque et rendre hommage à ma génération !

Quels sont tes projets dans les prochaines années ?

Mon contrat se termine en 2023 mais mon objectif est de rester à Asakura encore plusieurs années. J’ai le soutien de la mairie et j’ai la connaissance de la ville. Je souhaiterais continuer à travailler dans le domaine du tourisme.

J’aimerais faire connaître les traditions et l’histoire de la ville. J’ai aussi le projet d’ouvrir un café, pour proposer un lieu de rencontres entre Japonais et étrangers, tout en organisant des visites dans la ville.

Je suis également engagée dans le projet Ukai : l’art ancestral de la pêche au cormoran qui date de plus de 1300 ans. Dans tout le Japon, il n’y a plus que onze villes qui pratiquent cette pêche !

J’ai donc commencé l’entrainement avec maître Usho Kajiwara, pour apprendre le dressage des oiseaux et la fabrication artisanale du matériel nécessaire à cette pêche, en vue de l’évènement Ukai qui a lieu de mai à septembre.

Et quels endroits conseillerais-tu en priorité aux futurs voyageurs ?

Je conseille aux visiteurs de venir à Asakura s’ils cherchent à avoir un vrai contact avec la nature. Louer un vélo est le meilleur moyen de bien découvrir toute la région.

Le centre historique d’Asakura a beaucoup d’intérêts avec notamment les ruines de l’ancien château d’Akizuki, créé par le clan Kuroda qui a joué un rôle historique important sur toute l’Ile de Kyushu.

Il y a de nombreuses activités à faire sur la rivière Chikugo entre mai et septembre : assister à la pêche au cormoran, faire du canoë kayak mais également profiter des nombreux onsen (sources chaudes).

80% des touristes qui venaient à Asakura avant la pandémie étaient originaires des pays voisins : Corée du Sud, Chine, Singapour… Je pense qu’à la réouverture des frontières, les visiteurs Occidentaux qui ont déjà eu un premier contact avec la culture japonaise, pourraient être intéressés par cette région, pour approfondir leurs connaissances de l’archipel et rechercher des expériences différentes…

Merci Nahed pour ton témoignage passionnant ! A bientôt à Asakura !

Vous pouvez retrouver Nahed sur les réseaux sociaux :

Facebook : Healthy Japan : ma vie à Asakura

Instagram : discoverdeepnahed

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