Brathish Thevarasan est le créateur de la marque avant-gardiste Nikka Zubon basée à Osaka, qui commercialise les pantalons appelés Tobi et Nikka, portés à l’origine par les ouvriers du bâtiment au Japon. Dans cet entretien, Brathish, revient sur son parcours et la création de son entreprise au Japon.
Brathish, peux-tu te présenter et nous raconter ton parcours ?
Je m’appelle Brathish Thevarasan, j’ai 32 ans et j’ai grandi à Taverny dans le Val d’Oise en région parisienne.
J’ai fais des études de japonais à l’Université de Cergy. Comme beaucoup de Français, j’étais passionné par les mangas et par la culture japonaise en général.
J’avais débuté des études scientifiques mais n’étant pas intéressé, je m’étais réorienté vers les langues.
Par chance, la section langues venait d’ouvrir et il y avait un partenariat d’échange entre ma fac et l’Université de Momoyama Gakuin dans la préfecture d’Osaka.
Je suis donc venu la première fois au Japon en 2009 dans le cadre de cet échange. J’avais été frappé par l’accueil chaleureux des Japonais. Je m’en souviens encore comme si c’était hier, tellement j’ai aimé passer ces trois semaines là-bas. C’était un gros choc culturel !
Au lieu de rentrer, j’ai continué le séjour tout seul et je suis finalement resté deux mois.
A l’époque, il n’y avait pas AirBnB. Il m’arrivait de dormir à la belle étoile dans les parcs. C’est de cette manière que j’ai rencontré beaucoup de sans-abris. C’était très enrichissant comme situation. Vu le taux de criminalité très bas au Japon, je me sentais en sécurité.
Tu arrivais à te faire comprendre ?
J’avais fais une reconversion à la fac et j’avais perdu un semestre de cours de japonais… Mon niveau de Japonais était très mauvais, je parlais surtout en anglais et je me faisais comprendre avec la gestuelle !
Comment s’est passé ton retour en France ?
Je suis rentré au bout de deux mois et j’ai ressenti ce que ressentent de nombreux Français quand ils reviennent du Japon, c’est comme une maladie : on ne pense qu’à y retourner !
Du coup, j’y suis retourné très vite pendant les vacances scolaires ; j’en ai profité pour y faire mon stage de fin d’études … mais en deuxième année !
Et par le bouche-à-oreille et les quelques contacts que j’avais, j’ai réussi à trouver un stage d’un mois en tant que professeur de français à l’Université des langues de Kyoto. Puis, je suis rentré en France en étant persuadé que je reviendrai au Japon pour m’y installer.
A quel moment as-tu eu l’idée de vendre des pantalons d’ouvriers japonais ?
Il y avait des évènements organisés par mon Université au jardin d’acclimatation à Paris, et ils avaient besoin d’interprètes. C’est de cette manière que j’ai pu rencontrer pour la première fois des artisans japonais qui créaient toutes sortes de produits locaux japonais et que mon idée a commencé à germer…
A la fin de mes études, je m’ennuyais beaucoup à la fac, et avec mon diplôme LEA Anglais-Japonais, il n’y avait pas beaucoup de débouché à part pour faire de la traduction ; il aurait fallu que je m’oriente vers du commerce international mais cela ne me plaisait pas.
J’avais donc décidé de tenter l’aventure tout seul en prenant un Working Holiday Visa / PVT (programme Vacances-Travail).
Lors de mon précédent voyage en 2010, j’avais eu un coup de coeur pour le style vestimentaire des ouvriers du bâtiment. Et ce que j’aime au Japon, c’est que l’on peut s’habiller sans avoir peur d’être critiqué à la différence de la France où je n’avais pas vraiment ma place.
J’avais acheté des pantalons d’ouvriers auprès d’artisans et j’en avais donné plusieurs à mes amis restés en france et ils avaient beaucoup aimé.
Quelle est la particularité du style vestimentaire des ouvriers japonais ?
Le style d’habillement porté par les ouvriers japonais est appelé Tobi et Nikka ; ils s’habillent avec des pantalons très larges qui sont agréables à porter.
Qu’est-ce qui t’a plu dans ces pantalons ?
J’adore la sensation quand je les porte ainsi que leur design.
Je suis très fan de Dragon Ball Z donc c’est aussi pour cela que j’aime le design de ces pantalons qui ressemblent à ceux portés par les personnages du manga.

Que signifie Nikka Zubon, le nom de ta marque ?
Je voulais trouver un nom simple et facile à prononcer pour les Français.
Nikka désigne la forme large des pantalons des ouvriers et Zubon signifie « pantalons ».
Le symbole de Nikka Zubon est le milan noir appelé Tobi ou Tonbi en japonais. L’oiseau est l’image du voyage et de la rencontre de plusieurs mondes, mais aussi la liberté de migrer vers d’autres horizons.
Est-ce que tu as rencontré des difficultés pour lancer ton activité au Japon ?
Au départ, je suis parti de rien, j’ai essayé d’avoir un prêt bancaire mais la banque n’a pas voulu me suivre car elle ne croyait pas en mon projet et le fait d’être étranger n’a pas facilité les choses.
Lorsque l’on est étranger et que l’on souhaite avoir des salariés, il faut le visa entrepreneur avec un apport de 50 000 euros.
Pour avoir le statut d’auto-entrepreneur (kojin jugyo), il faut soit un visa « self-sponsor » : un employeur qui sponsorise notre demande de renouvellement de visa et justifier d’au moins 25 000 euros sur son compte, un visa époux : facilité d’enregistrement et pas d’apport personnel, ou un visa travail sous certaines conditions.
J’ai finalement pu bénéficier d’un visa époux lorsque je me suis marié à ma fiancée japonaise que j’avais rencontré pendant mes études.
Comment ont réagi les fabricants de pantalons quand tu leur as proposé de travailler avec eux ?
Au Japon, ils ne s’ouvrent pas facilement aux étrangers. Les fabricants étaient très méfiants. Ils ne voulaient pas vraiment faire affaire avec moi. Ils avaient besoin de preuves que ce projet allait marcher.
Pour eux, ces pantalons sont destinés aux ouvriers… ou aux voyous ! Ils ne comprenaient pas que je veuille vendre ce produit. Les Japonais ont beaucoup de préjugés sur ce produit, c’est pour cette raison que j’ai décidé de les vendre surtout à la clientèle francophone.
Du coup, je me suis débrouillé tout seul en commençant par acheter un lot de pantalons que j’ai revendu sur internet.
Comment s’est passé le lancement de ton activité ?
Vu que j’avais l’intention de vendre à l’extérieur du Japon, et plus particulièrement au public francophone, il me fallait d’abord une « vitrine ».
J’ai donc créé mon premier site internet en 2015 sans y connaitre grand chose. A la base, je m’intéresse beaucoup à la photo, j’ai moi-même pris mes amis en photo portant les pantalons et c’est comme cela que le premier site est né.
Mais je n’avais fait aucune publicité et le lancement du site n’a pas très bien marché. J’avais beaucoup utilisé les réseaux sociaux, mais sans succès.
As-tu eu envie d’abandonner ?
Oui, en plus à ce moment là, j’arrivais à la fin de mon visa. Finalement, je me suis marié et ma femme est devenue mon associée.. Même si elle ne croyait pas trop en mon projet au début, peu à peu elle a commencé à s’y intéresser.
Elle m’avait accompagné pour rencontrer de nombreux fabricants et finalement on avait réussi à signer un contrat avec un petit fabricant d’Hiroshima ; la plupart sont dans la région d’Okayama où sont fabriqués les pantalons pour ouvriers.
On l’a convaincu que la France était un pays où la culture manga était très implantée et où ce style vestimentaire pouvait plaire et il a accepté de nous suivre.
J’ai eu des périodes de doute, mais je n’ai rien lâché car je crois en ce produit. Mon principal atout, c’est la qualité de mes pantalons. Tous les retours que j’ai eu de mes clients sont très positifs, les gens adorent la matière et la qualité du tissu.
Et aujourd’hui, dans quelle situation est ton entreprise ?
On a créé un deuxième site internet plus épuré avec des images de meilleure qualité.
On essaye de se faire plus connaître. On était d’ailleurs passé sur la radio France Inter pour parler de nous. Et on continue à communiquer sur les réseaux sociaux.
On vend surtout aux professionnels du monde du spectacle ainsi qu’à de vrais ouvriers, des charpentiers qui connaissaient déjà le produit.
J’ai envie de créer un pont entre le Japon et France. Les pantalons sont une base mais j’aimerais proposer d’autres produits « coups de cœur » comme des stylos japonais beaucoup plus fins que ceux que nous connaissons en France.
J’imagine que la pandémie du Covid-19 a eu un impact sur ton activité professionnelle...
Oui complètement. Pendant plus de 3 mois, il n’y avait pas de transport aérien donc c’était compliqué mais on s’est accroché.
As-tu fait des baitos (petits jobs) en parallèle de ce projet de création d’entreprise depuis ton arrivée au Japon ?
Oui, j’ai commencé par être professeur d’anglais et j’ai aussi travaillé comme photographe pour le Musée d’Osaka.
Je suis toujours professeur en parallèle de mon activité mais je consacre la plus grande partie de mon temps à mon entreprise qui me tient vraiment à coeur.
As-tu réussi à t’intégrer facilement et te faire des amis Japonais ?
C’était très simple quand j’étais étudiant. C’est devenu beaucoup plus difficile quand j’ai commencé à travailler en tant que salarié.
Avec tous mes amis Japonais, il faut que je prenne rendez-vous avec eux si je veux les voir… c’est leur mentalité. Ils ne font pas l’effort d’aller vers les autres. Mais même si on ne se voit pas pendant des années, le jour où l’on se revoit, ils vont se comporter comme si on s’était quitté la veille !
Quand on est Français, c’est compliqué d’avoir une « vraie » amitié avec un Japonais. On n’a pas la même vision de l’amitié.
Par contre, les relations sont plus faciles avec les Japonais qui sont sortis du Japon et qui ont voyagé notamment en France.
Pourquoi es-tu resté vivre à Osaka ?
J’aime beaucoup la vie ici. Les gens sont très ouverts et ont plus de temps qu’à Tokyo par exemple. La vie est aussi moins chère.
C’est une ville plus à taille humaine.
Tu as aussi créé une chaine Youtube « Le Petit Bura », peux-tu nous en dire plus ?
« Bura » c’est un diminutif de Brathish en japonais. Et « petit », c’est dans le sens de « mignon, » c’est comme cela que l’on m’appelle depuis que je suis enfant : j’avais une petite voix, une petite taille…
J’ai voulu créer cette chaîne pour me faire connaître mais aussi pour partager mon ressenti sur ma vie ici, et présenter des choses un peu différentes.
Et dernière question : quels sont tes endroits préférés au Japon et plus particulièrement à Osaka ?
L’ancien village traditionnel de Gokayama dans la région de Toyama m’a beaucoup marqué. Son architecture ancienne est classée au Patrimoine mondial de l’humanité.
Dans les montagnes au nord d’Osaka, j’aime beaucoup le Temple Katsuo-ji situé dans le parc naturel de Minō réputé pour sa cascade.
Je conseille aussi la ville de Sakai pour toutes ses arts traditionnels, accessible à partir de l’unique tramway d’Osaka : la hankai line.
A Osaka, j’adore chiner dans le quartier de Nakazaki-cho oú on peut trouver pleins de petits magasins de créateurs et me promener vers Umeda dans le centre ville au nord de la ville.
Merci Brathish pour ton témoignage et bonne continuation avec Nikka Zubon ! A bientôt à Osaka !

Vous pouvez retrouver Brathish sur internet et les réseaux sociaux :
Site internet de la marque Nikka Zubon: https://www.nikka-zubon.com/
Facebook : https://m.facebook.com/nikkazubon/
Twitter : https://twitter.com/LepetitBura
Instagram : https://www.instagram.com/nikkazubon/
Chaîne Youtube : https://m.youtube.com/channel/UC2L4DhXrFXnHWfhCHknypZA